Côte d'Ivoire: Fin de la mutinerie militaire, analyse du chercheur Arthur Banga

Retour sur le mouvement de colère des militaires en Côte d'Ivoire. Un mouvement parti vendredi de Bouaké, mais qui a touché aussi Daloa et Daoukro, dans le centre, pour réclamer des primes et des hausses de salaires. Pour en parler, Nathalie Amar reçoit Arthur Banga, chercheur spécialiste des armées, enseignant à l'université Félix Houphouët-Boigny. 

 

RFI : Le président Ouattara a promis de donner satisfaction aux soldats, tout en dénonçant leur méthode de revendication, à savoir le blocage de la ville de Bouaké. Est-ce que pour vous l’épisode est clos ?

Arthur Banga : Au moins dans un premier temps, et si pour une fois Ouattara et les mutins s’entendent définitivement, je pense que oui. Déjà en 2014, on avait eu des revendications similaires avec les mêmes manifestations et si aujourd’hui nous y en sommes arrivés, c’est certainement parce que toutes les revendications n’ont pas été prises en compte. Donc je pense que si le président Ouattara tient ses engagements et prononce sa réforme des armées, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas tourner la page.

La priorité de leurs revendications ce sont les primes ou c’est justement cette réforme de l’armée ivoirienne ?

C’est effectivement des primes que les soldats réclament, mais à ces primes doit continuer une réforme des armées ivoiriennes, parce que la plupart de ces soldats ont manqué de formation. Ils ont été pour la plupart combattants, anciens rebelles, mais pas encore militaires.

Je pense que dans les réformes qui sont prises, il faut continuer la formation de ces soldats-là pour leur donner justement l’esprit militaire, parce qu’avec cet esprit militaire on va avoir de moins en moins de mutineries.

Et aujourd’hui ce n’est pas le cas ? On ne met pas suffisamment de moyens dans cette formation ?

La Côte d’Ivoire est plutôt sur une loi de programmations militaires qui a prévu justement ces formations. Mais cette loi de programmation militaire couvre essentiellement les années 2016 à 2020, mais doit prendre effet réellement cette année 2017. Il faut justement accentuer la formation. C’est prévu.

On a bien senti que ces tensions ravivaient les craintes d’une reprise des violences. Cette armée ivoirienne, depuis l’élection d’Alassane Ouattara, est toujours profondément divisée, d’après vous ?

Beaucoup moins par rapport à 2011, tout simplement parce qu’Alassane Ouattara a su s’imposer comme président de la République, comme chef suprême des armées. Et puis finalement la partie de l’armée qui était plutôt sous la République du temps de Laurent Gbagbo a vite compris qu’Alassane Ouattara fait effet de président de la République, donc s’est plutôt rangée.

Le problème qui se pose en fait, c’est les mutins issus de l’ancienne rébellion, qui eux espèrent encore mieux de leur situation sociale et financière. C’est-à-dire que pour la plupart de ces jeunes gens qui sont engagés dans la rébellion, ils ont pensé que l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara serait synonyme de changement radical dans leur vie de tous les jours. Ceci d’autant plus que les chefs militaires caracolent dans des voitures, de grosses cylindrées, et ont accédé à des grades d’officier supérieur, lieutenant-colonel, voire colonel pour certains. Les hommes à la base espéraient que leur quotidien changerait, ce qui n’est pas forcément le cas. C’est cette insatisfaction-là qui s’est manifestée en 2014 et je pense aussi hier.

Qu’est-ce qui a changé finalement depuis la fin de la crise postélectorale au sein de cette armée ? Quels progrès ont été réalisés justement pour l’unifier ?

Les progrès sont énormes. D’abord il y a un commandement unique. Et puis je pense que tous les militaires se reconnaissent aussi sous l’autorité du chef d’état-major du ministère de la Défense et du président de la République.

Côté équipement il y a beaucoup d’efforts qui ont été faits, notamment dans l’acquisition de véhicules pour transport de troupes, de patrouilleurs pour la marine, de quelques hélicoptères pour l’armée de Terre et la formation. Tout ça c’est bien. Seulement, il faut accentuer la formation, régler définitivement les problèmes liés à ces ex-FAFN qui ont intégré l’armée républicaine.

Ramener d’abord ces soldats qui ont eu une formation expresse pour combattre, mais qui n’ont pas eu de formation clairement militaire, il faut les ramener en formation et les ramener en stage pour ceux dont il est encore possible. Et puis les plus anciens parmi eux, puisqu’ils sont gradés soldats : essayer de trouver des portes d’issue, soit sur des forces paramilitaires ou les accompagner dans des projets d’intégration sociale. Parce que l’armée ne peut pas continuer à avoir des soldats de 45 ans, de 50 ans. Ce n’est pas possible.

Au sein de la société civile, on entend beaucoup le reproche d’une justice à deux vitesses, d’une justice qui aurait depuis 2010-2011 essentiellement poursuivi les partisans de Laurent Gbagbo pour laisser de côté ceux d’Alassane Ouattara. Est-ce que c’est aussi le cas dans les rangs de l’armée ? Est-ce qu’on entend ce type de critiques ?

Évidemment. Il faut bien comprendre qu’au sein de l’armée de Côte d’Ivoire jusqu’à présent, comme dans la société ivoirienne, les soldats issus des FAFN qui n’ont pas exagéré, qui sont restés dans l’armée régulière, n’ont pas été inquiétés. On peut avoir ce sentiment dans l’armée.

Mais je ne pense pas que ce sentiment puisse expliquer la mutinerie d’hier. Parce que s’il y a un sentiment de justice des vainqueurs c’est au profit justement des mutins d’hier, qui eux étant proches des Forces nouvelles de l’ancienne rébellion, ne sont pas inquiétés logiquement par la justice.

Est-ce qu’on peut s’interroger malgré tout sur une éventuelle manipulation politique de ce mouvement des militaires, compte tenu du calendrier juste avant le vote pour l’élection à la tête de l’Assemblée nationale, le choix d’un vice-président selon la nouvelle Constitution ? Qu’en pensez-vous ?

Le lien direct ne peut pas être encore établi, mais il y a forcément des conséquences indirectes. Les conséquences indirectes c’est que certains hommes politiques issus des Forces nouvelles envoient un signal où on peut percevoir ces manifestations comme un signal de leur importance, de leur influence encore pour les années qui suivent. Parce que certains de ces soldats ne se reconnaissent que justement en ces hommes politiques et en certains chefs militaires.

Pour preuve : le lieutenant-colonel Wattao qui a accompagné le ministre de la Défense sous les négociations est lui-même issu des forces armées, des Forces nouvelles. Donc clairement, certains militaires, certains hommes politiques qui étaient liés à la rébellion ont directement, tout au moins vont bénéficier de ces mutineries, au moins pour signaler leur importance encore sur l’échiquier politique ivoirien.

Vous pensez à qui précisément ?

À leur chef Guillaume Soro et à ceux qui lui sont restés fidèles.

 

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