Sams’K le Jah: En Afrique, «on a des dirigeants qui ne savent pas écouter les jeunes»

Le XVIe sommet de la Francophonie de Madagascar a pour thèmes officiels la « croissance partagée », le « développement responsable » et les « conditions de la stabilité du monde et de l’espace francophone. » Comprendre la lutte contre les inégalités, l’exclusion et la radicalisation, parler de croissance et de développement, c’est avant tout s’intéresser à la jeunesse, son quotidien, ses opportunités dans les pays africains. Laurent Correau évoque l’état de la jeunesse d’Afrique avec un témoin : le rappeur burkinabè Sams’K le Jah.

Comment décririez-vous le quotidien d’un jeune, aujourd’hui, au Burkina Faso et, de manière plus générale, en Afrique de l’Ouest ? Quelles sont les difficultés auxquelles ces jeunes sont confrontés ?

Sams'K le Jah : Le gros problème des jeunes c’est le manque de perspectives. On leur vole leur avenir. En dehors des jeunes du secteur informel et des petits commerçants qui revendent les cartes téléphoniques, le quotidien de la plupart des jeunes est vraiment difficile. Il y a des jeunes qui peuvent passer deux, trois jours sans même toucher un billet de 1 000 Francs [1,52 euro]. Dès qu’on se réveille, la première préoccupation est de voir vers qui on peut aller pour espérer avoir un peu d’argent. C’est vraiment ça la question : où est-ce que j’aurai quelque chose aujourd’hui ? On a une expression que beaucoup de jeunes utilisent à Ouaga quand ils te croisent et qui veut dire « Grand frère, aujourd’hui, là, il n’y a pas à manger ».

Aujourd’hui, il y a plein de jeunes qui tombent dans des petits métiers journaliers, comme par exemple maçons. Quand vous allez devant l’Office national de l’emploi, vous avez des files de gens qui sont assis toute la journée et qui attendent que quelqu’un gare sa voiture et leur propose un petit boulot, et ils se contentent de petits business qui ne peuvent pas leur garantir un avenir.

La plupart de temps, vers qui se tournent ces jeunes pour avoir un peu d’argent ?

Vers des grands frères ou encore vers les grandes sœurs qui ont peut-être un travail et un salaire à la fin du mois. Chez nous, on est dans un système social qui fait que, avec le peu de salaire que tu as, tu dois t’occuper de plusieurs personnes. Finalement, tu te retrouves à vivoter. C’est difficile, dans ces conditions, de réaliser de grands projets mais, par solidarité et par esprit communautaire, on essaie de tenir. Ce n’est pas évident que cela puisse durer longtemps parce que, de plus en plus, les gens se mettent dans ce qu’on appelle le système occidental. C’est toi, ta femme et tes enfants. De plus en plus de gens refusent d’accueillir des cousins, des cousines parce que ça commence à représenter des charges insupportables. Il faut aussi payer des études et la vie à Ouagadougou commence à devenir chère.

Que ressentent les jeunes qui sont dans cette situation-là ? Est-ce que c’est de la colère ?

Il y a une révolte qui est là et cette révolte, très souvent, se traduit justement par ce que vous pouvez appeler la colère. On descend dans la rue et on casse tout. En 2008-2009, il y a eu ce genre de crises que l’on a appelé les « crises de la vie chère ». Ce n’est pas encore fini, c’est encore là. Comme on dit en Côte d’Ivoire, ce sont de jeunes « cabris morts ». Ils ne croient plus en rien.

Est-ce que vous diriez que la révolution d’octobre 2014 a été alimentée par cette révolte, justement, de jeunes exclus, démunis ?

En partie, oui. La plupart des gens qui sont descendus dans la rue étaient fatigués du système de Blaise Compaoré. Fatigués dans le sens où vous avez toute l’économie du pays qui est gérée par trois ou quatre personnes et pendant ce temps, une bonne partie de la population se retrouve sans rien. Et en plus de cela, vous avez des gens qui vous narguent. Vous ne pouvez pas non plus vous soigner. Vos enfants ne peuvent pas aller à l’école. Quand on lance un concours, la plupart du temps toutes les places sont déjà prises. Il n’y a plus de perspectives si tu n’as pas ce qu’on appelle le « bras long ». C’est difficile de se faire une place. En plus de ça, les crises politiques sont venues exacerber les choses. Quand Blaise voulait modifier l’article 37 pour rester encore au pouvoir, les gens ont dit « trop c’est trop. Il faut que ça s’arrête ». Blaise est parti mais il y a des pratiques qui continuent et que les gens dénoncent.

Qu’est-ce qu’il faut faire, selon vous, pour essayer de régler cette situation ?

La première étape, déjà, c’est d’écouter les jeunes. Nous avons des dirigeants qui ne savent pas écouter les jeunes.

Il faut que les jeunes commencent à avoir des perspectives. S’ils se disent « J’ai de l’espace chez moi, au village. J’ai un forage, je peux faire du maraichage. Comment arriver à écouler ? Comment arriver à transformer ? », il faut pouvoir les aider.

Nous sommes un pays immensément riche. Il y a des techniques, aujourd’hui, qui sont là, qui ont été développées par des gens et qui sont faciles d’accès. Encore faut-il avoir des moyens de s’acheter une motopompe ou bien une grille pour éviter que les animaux viennent piétiner ce qui a été fait. Ce ne sont pas tous les jeunes qui ont ces moyens. On a des gouvernants qui disent toujours que l’économie de nos pays repose sur l’agriculture. Vous avez près de 80% de paysans qui n’ont pas de gros moyens. Aujourd’hui, il faut faire plus pour l’agriculture. De plus en plus de jeunes se mettent à l’élevage et à l’agriculture mais ils ont besoin de soutiens et ce n’est pas toujours évident d’avoir des soutiens.

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