A la Une: pugilat à droite

A quatre jours du second tour de la primaire de la droite et à la veille du débat télévisé, le ton monte et les coups pleuvent désormais entre Alain Juppé et François Fillon. Proximité avec le pape, avortement, adoption pour les couples homos, les sujets sociétaux sont au centre de la mêlée, de même que les positionnements politiques…
C’est Alain Juppé qui a ouvert le feu en déplorant notamment la vision « extrêmement traditionaliste » de François Fillon et en le sommant de préciser sa position sur l’avortement.

Finalement, quoi de plus normal ? pointe L’Est Républicain : « à la manière d’un joueur de tennis sentant la défaite venir, le maire de Bordeaux se contentait jusque-là de renvoyer la balle depuis le fond du court en misant sur les fautes de l’adversaire. Il doit maintenant monter au filet, lâcher ses coups. Celui qu’il a envoyé hier sur l’avortement prouve combien l’homme est aux abois. Haro sur Fillon : ultralibéral rayon économie, réactionnaire sur les valeurs. Dans cette bataille d’entre-deux-tours entre deux ex-Premiers ministres, Alain Juppé s’est donc résolu à l’offensive. »

En effet, renchérit Le Journal de la Haute-Marne, « Alain Juppé n’a pas d’autre choix que celui d’attaquer et d’attaquer encore dans les quelques jours qui nous séparent du second tour de la primaire. François Fillon, lui, laisse venir, se limitant à quelques contre-attaques. Ce jeu à fronts renversés n’a rien de surprenant. Il est dans la logique d’un dernier round où celui qui est largement mené aux points doit lâcher ses coups pour espérer reprendre l’avantage. »

Autodestruction ?

Non, cela va trop loin, peste Le Figaro. Le Figaro qui dénonce ce qu’il appelle le « Fillon bashing » : un bashing qui vient de la gauche, mais aussi du camp juppéiste, donc, et cela, le quotidien d’opposition a du mal à l’avaler… «  Que viennent faire Alain Juppé et les juppéistes dans cette galère ? s’exclame ainsi Le Figaro. Croient-ils qu’en mêlant leurs voix à celles de responsables socialistes discrédités ils vont se requinquer électoralement d’ici à dimanche ? Ce serait une erreur. Les électeurs de la droite et du centre sont évidemment prêts aux controverses programmatiques et même aux débats de personnes - c’est le jeu de toute campagne -, mais pas à ce déballage indécent et destructeur. Ceux qui continueraient dans cette voie ne rendraient pas service à la droite, conclut Le Figaro, et ne se rendraient pas service à eux-mêmes. »

L’Opinion, autre quotidien de droite est sur la même ligne : « pauvre débat ! Faut-il que la droite soit redevenue stupide pour se détruire ainsi ! En lâchant ses coups contre François Fillon, Alain Juppé mesure-t-il le danger qu’il fait courir à son camp ? Dans cet exercice de volatilité absolue qu’est devenu le rite électoral, lui, l’outsider, peut encore gagner. Mais il devrait alors vivre avec une majorité qu’il aura lui-même contribué à fracturer. »

Parmi les sujets polémiques hier entre les deux concurrents de droite : leur degré de proximité avec le pape François…
« Le maire de Bordeaux, rapporte La Croix, a ouvert les hostilités en déclarant sur France 2 : je dis à mes coreligionnaires catholiques que moi, je suis plus proche de la parole du pape François que de "La manif pour tous" ! Le vainqueur du scrutin de dimanche rétorquait aussi sec sur TF1 : "sur la plupart des sujets sur lesquels Alain Juppé semble vouloir me contester, le pape François dit la même chose que moi". »

Commentaire agacé de La Croix : « que les deux candidats affirment des convictions en matière familiale est une bonne chose. Mais, de grâce, sans revendiquer un brevet de proximité ecclésiale. Entre autres inconvénients, une telle dispute aboutit à cantonner ce que dit l’Église catholique sur un seul terrain. Or, relève le quotidien catholique, la doctrine sociale chrétienne embrasse un champ beaucoup plus large qui inclut les injustices économiques, le drame des migrations et la sauvegarde de la Terre. On espère encore entendre les deux candidats sur de tels sujets d’ici à dimanche prochain. Qu’ils soient d’accord ou non avec le pape. »

Qui veut la peau d’« Ali Juppé » ?

Autre campagne de déstabilisation… celle menée sur les réseaux sociaux et par voie de mails sur la prétendue trop grande complaisance d’Alain Juppé envers l’islam…
« Qui veut la peau d’"Ali Juppé" ? », s’interroge ainsi Libération qui a mené l’enquête. Ali Juppé, c’est en effet le surnom donné au maire de Bordeaux par les instigateurs de cette campagne. Qui sont-ils ? « Des membres de l’extrême droite et une partie de la droite dite "classique" - mais désormais alignée sur le FN en matière identitaire. Sur Internet, des représentants de ces milieux accusent Alain Juppé de compromissions avec les franges les plus rétrogrades de l’islam. (…) Cette campagne, poursuit Libération, a même trouvé un relais chez Jean-Frédéric Poisson, candidat à la primaire, qui a repris le couplet, évoquant une proximité entre Juppé et "des organisations directement liées aux Frères musulmans". Idem pour l’hebdo très droitier Valeurs actuelles, qui a décrit un Juppé "aux petits soins avec les Frères musulmans". »

« D’où viennent ces accusations ? Deux origines, répond Libération. Tout d’abord, le projet de grande mosquée à Bordeaux, dans les années 2000, projet auquel Alain Juppé n’était pas opposé. Ensuite, ses relations plutôt cordiales avec l’imam bordelais Tareq Oubrou. Alain Juppé est d’autant plus furieux, pointe le journal, que « cette offensive visant à le faire passer pour un faible à l’égard des islamistes a pu troubler certains électeurs. (…) Lundi sur France 2, il concédait que "la bonne foi est souvent impuissante contre la calomnie, surtout quand elle est anonyme". »

Enfin, et la gauche dans tout ça ? D’après Le Monde, « la qualification surprise et massive de François Fillon, dimanche dernier, a redonné paradoxalement un coup de fouet à la détermination de François Hollande (à se représenter). (…) Sur le plan électoral, poursuit Le Monde, la victoire de François Fillon peut favoriser la renaissance d’un clivage idéologique face à une droite ouvertement de droite. De quoi potentiellement remobiliser l’électorat de gauche, y compris parmi les déçus du hollandisme. »

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