C’est un véritable tremblement de terre, un fort séisme politique dont la magnitude atteindrait aisément 9, sur l’échelle de Richter. L’élection de Donald Trump comme président des Etats-Unis a ébranlé la terre entière, et l’Afrique n’y échappe pas. Quelle lecture les Africains doivent-ils faire de cet événement ?
Pour l’essentiel, cette lecture ne peut être différente de celle qu’en fait le reste de la planète. Imaginer que Donald Trump, après tout ce qu’il a donné à voir de son personnage, se retrouve dans le fauteuil de leader du monde libre est plus que préoccupant. Cette histoire a commencé comme un jeu, auquel le vainqueur final lui-même ne semblait pas croire. Après sa victoire aux primaires républicaines, et alors que ses adversaires et les journalistes soulignaient ses limites, il s’était livré à une touchante confession, passée presqu’inaperçue : il affirmait que l’un de ses oncles avait servi dans la diplomatie, à Londres ou quelque part en Europe. Il voulait signifier qu’il n’était pas aussi inculte que le laissaient croire ses détracteurs.
Justifier ses prétentions politiques à un si haut niveau par le simple fait que l’un de ses oncles avait été diplomate est à la fois touchant, attristant et pitoyable. De fait, tout au long de la campagne, il s’est comporté comme ces nouveaux riches à qui l’on doit sans cesse rappeler qu’ils ne sont pas à leur place, dans les milieux aristocratiques. D’ailleurs, les Clinton, comme les Obama, n’ont cessé de lui reprocher de n’être pas qualifié pour la fonction de commandant en chef. Et pourtant, au bout de la course, c’est lui qu’ont choisi les électeurs. En dépit de ses propos discourtois, à la limite de la goujaterie, notamment vis-à-vis des femmes ! Malgré ses réflexions, plus scandaleuses les unes que les autres ! Et malgré ses manières, quelque peu rustres, à la limite de la brutalité, il a été élu, envers et contre tout !
Le monde ne s’était-il pas déjà fait surprendre avec le Brexit des Britanniques ? Qu’y a-t-il de si déroutant à voir Donald Trump dans le bureau ovale ?
Si ce n’est pas déroutant, ce tableau que nous proposent les Américains pousse néanmoins à s’interroger plus largement sur ce que veulent vraiment les peuples des grandes nations de notre monde. Pour qualifier l’ère que nous vivons, il revient à la mémoire le titre d’un des chefs-d’œuvre de la littérature africaine, le foisonnant ouvrage du poète et romancier nigérian Chinua Achebe : Le Monde s’effondre, paru en 1958… où l’on se demande, comme le chansonnier, si la terre, quelque part, ne « perd pas la boule ».
Le monde s’effondre, et nous avons la vague impression de basculer vers l’inconnu, sinon le néant. Fallait-il être bien naïf, pour croire qu’après la chute du bloc soviétique et le naufrage du communisme, la démocratie calquée sur le modèle occidental, avec le capitalisme en embuscade, allait être l’unique boussole, pour tous et pour toujours ! La planète semble refuser de se résigner à cela. Et l’on découvre avec une indicible affliction que les maîtres du monde n’ont songé à rien de concret pour la suite. Le mouvement altermondialiste s’est essoufflé dans un monologue soigneusement ignoré, méprisé et confiné à la périphérie des grands sommets par les puissants. La Grèce, ulcérée, a vite été mise au pas par ceux qui tiennent le cordon de la bourse. Le Brexit, reçu en plein visage par l’Europe, n’aura été qu’un sévère avertissement, que l’opinion était déjà sur le point d’avoir fini de digérer. Et c’est le moment que choisit l’Amérique, pour nous confirmer que notre monde non seulement s’effondre, mais que tout y devient possible, surtout le pire.
Les régimes en place dans certains pays du continent se réjouissent pourtant de cette victoire de Donald Trump. Il y en a même qui parlent d’arrogance d’Obama, sous prétexte qu’il donnait des leçons de démocratie à l’Afrique. Au Burundi, en RDC, et dans deux ou trois autres Etats, les pouvoirs semblent heureux de cette victoire.
Ils auraient tort de s’empresser d’enterrer Obama. Parce qu’il sera écouté par Trump, aussi invraisemblable que cela puisse leur paraître. Justement parce qu’il n’avait pas conçu un projet politique pour l’Afrique, Donald Trump pourrait se contenter de poursuivre et même de parachever ce qu’a commencé Obama…Et Trump a assuré qu’il comptait sur les conseils futurs du président sortant.
Les dirigeants africains qui, persuadés d’en avoir fini avec Obama, caresseraient quelques tentations despotiques, feraient mieux d’être prudents. Ils pourraient déchanter, car l’Afrique est le type de sujet sur lequel les deux hommes pourraient parfaitement s’entendre, en s’appuyant sur les positions d’Obama.
Et puis, tous ces dirigeants indignes, qui attendent que l’Occident leur fasse peur pour respecter leur peuple et leur constitution feraient mieux de comprendre que ce n’est plus Paris, Berlin ou Washington qui risquent de… « faire la peau » à leurs régimes, mais bien leurs propres peuples. Après tout, ce sont les Tunisiens qui ont chassé Ben Ali, les Egyptiens, Moubarak, et les Burkinabè, Compaoré.