Il s’agit donc de la quatrième édition de la Foire 1:54. Comment évolue le marché de l’art contemporain africain depuis que vous avez lancé cette foire ?
Touria El Glaoui: Je dois dire que nous sommes assez contents. Nous avons commencé en pensant que cette plateforme était vraiment utile pour le marché d’artistes venant du continent africain et de la diaspora africaine. Vu l’engouement et les ventes faites aux différents collectionneurs et aux visiteurs de 1:54, je pense que je peux dire que nous sommes dans un début d’une croissance pour le marché d’art contemporain africain qui, depuis que j’ai commencé, je n’ai vu que grandir.
Ce qui frappe, quand on regarde les œuvres des artistes exposés, c’est leur côté figuratif et peut-être plus accessible que certaines œuvres que l’on voit dans les foires d’art contemporain - on va dire - classique qui apparaissent beaucoup plus conceptuelles et faites pour un public d’initiés. Est-ce que c’est aussi votre sentiment ?
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Je pense qu’aujourd’hui, les artistes qui sont basés sur le continent ont leur propre expérience - on va dire – artistique et sont beaucoup plus inspirés par leur contexte de vie de tous les jours et pas du tout par un ensemble d’artistes contemporains très conceptuels.
Quels sont les pays qui sont à la pointe de l’art contemporain africain, aujourd’hui ?
Tout ce que je peux dire c’est que depuis mon expérience sur la foire, je vois une énorme corrélation entre la stabilité et l’économie du pays et sa scène artistique. Je sais donc, par exemple que, pendant longtemps, l’Afrique du Sud a dominé un peu le continent par rapport à ses artistes et son marché de l’art. Nous avons eu également beaucoup d’artistes qui ont une valeur assez importante en Afrique du nord, région qui a montré une grande stabilité pendant les derniers 25-30 ans.
Suite à cela, ces dernières années, on a vu le Nigeria accélérer avec une très bonne économie qui s’est ralentie aussi mais qui a permis de voir une scène artistique se développer.
Et là, les derniers pays que l’on voit vraiment bouger, ce sont le Ghana et l’Ethiopie. Nous avons des galeries qui participent pour la première fois cette année et cela, je suis sûre que c’est vraiment dû, non seulement à l’économie du pays, mais aussi au fait que, soudainement, il y a une galerie qui fait un peu une structure de promotion et de visibilité pour ces artistes.
Qui sont les acheteurs ? Ce sont des Africains ou bien des Européens ou encore des acheteurs d’autres continents ?
Le but de 1:54 a toujours été de donner de la visibilité internationale. Par conséquent, à la base, nous n’avons pas vraiment visé un marché africain. L’idée c’était vraiment d’essayer de toucher les gros collectionneurs internationaux. Ceci étant, nous avons 10 % de collectionneurs qui se renouvellent chaque année et qui sont des collectionneurs qui viennent soit du continent africain ou bien qui font partie des différentes diasporas africaines dans les pays européens et américains.
Quel est le prix moyen pour une œuvre présentée à votre foire ?
Dans cette édition-là nous avons des prix qui commencent à 1 000 livres sterling et qui vont jusqu’à la plus grande pièce qui est celle d’un artiste soudanais. C’est une pièce très rare qu’il a faite et qui est une pièce en trois parties. Elle est à 600 000 livres, ce qui est peut-être un des prix les plus élevés que nous avons eu à la foire, depuis que nous avons commencé. En général, je dirais que la moyenne est entre 5 000 et 10 000 livres.
Avez-vous constaté une envolée des prix, ces dernières années, ou bien ça reste dans la limite du raisonnable ?
Je dois dire qu’effectivement, depuis trois ans, les prix ont constamment augmenté mais sans en faire une mode ou une bulle. C’est plutôt très raisonnable et constant.
Les artistes que vous exposez, acceptent-ils cette expression d’ « art contemporain africain » ? Est-ce qu’ils ne voudraient pas, parfois, qu’on les considère ou qu’ils soient exposés dans des foires « d’art contemporain », tout simplement ?
En fait, la question n’est pas de savoir s’ils préfèrent une catégorie plutôt qu’une autre. Il s'agit plutôt de savoir ce qu’ils avaient comme visibilité avant. Dans des expositions internationales comme des biennales ou bien des foires internationales, la proportion d’artistes du continent africain ou de la diaspora africaine est vraiment extrêmement petite, en pourcentage.
Ce qui est assez intéressant aussi de voir, c’est que les artistes eux-mêmes qui viennent à 1:54 – on en a beaucoup et on en reçoit beaucoup qui viennent avec leur galerie – sont très, très fiers d’être là. Aussi, je suis sûre que tout artiste aimerait être considéré comme un artiste d’abord mais je pense que c’est un débat qui, aujourd’hui, leur sert plus positivement en faisant faire partie de la foire que négativement.