Nadia Chaabane: en Tunisie, il faut maintenant «rendre l’espoir»

Le nouveau Premier ministre tunisien Youssef Chahed et les membres de son gouvernement d’union nationale ont prêté serment ce samedi 27 août lors d’une cérémonie au palais de Carthage. La nouvelle équipe gouvernementale prend ses fonctions ce lundi. Issu du parti Nidaa Tounès, fondé par le chef de l’Etat, Youssef Chahed est le septième chef de gouvernement en moins de six ans. Parviendra-t-il à relever la Tunisie ? Le « Printemps arabe tunisien » est-il moribond ? Nadia Chaabane du parti Al Massar, « La voix démocratique et sociale », est l’invité de Jean-Jacques Louarn.

Le jeune Youssef Chahed, à peine 41 ans, le plus jeune Premier ministre de l’histoire moderne de la Tunisie, va-t-il rendre l’espoir aux Tunisiens ?

Nadia Chaabane : Rendre l’espoir, j’espère parce que la mission qui l’attend est énorme. On est dans une situation un peu historique et dans une crise économique majeure. Et il a de vrais défis à relever aujourd’hui et je pense qu’il va falloir s’atteler à la tâche, cela ne va pas être simple.

Donc la nouvelle équipe gouvernementale prend ses fonctions aujourd’hui. C’est comme l’a dit Youssef Chahed, « le temps des sacrifices qui débute » ?

On est conscient des difficultés majeures dans lequel s’est enfoncé le pays ces dernières années, et qu’il y a de vrais défis à relever aujourd’hui. J’espère qu’on n’arrivera pas de l’austérité parce que je serais la première à dire, ce n’est pas normal car il y a quand même des préalables avant d’y arriver qu’il va falloir relever. Il y a aujourd’hui de vraies réformes structurelles à engager, et en même temps une vraie volonté à lutter contre la corruption qui est le mal numéro 1 dans le pays.

Youssef Chahed n’aura pas d’état de grâce de toute évidence et ses marges de manœuvre sont plus que réduites. La Tunisie a-t-elle les moyens de réduire sa pauvreté, cette disparité régionale, la corruption ?

Elle a les moyens. C’est une question de volonté. S’il ne s’est rien passé ces cinq dernières années, c’est qu’on n’a pas voulu y toucher, c’est qu’on n’a pas voulu sacrifier un certain nombre de lobbies, on n’a pas voulu toucher aux intérêts de quelques hommes d’affaires et autres. A partir de là, c’est une question de volonté, ce n’est pas une question de ressources. Les investisseurs tunisiens aujourd’hui n’investissement pas en Tunisie parce qu’ils n’ont pas confiance. Les Tunisiens qui vivent à l’étranger et qui ont envie d’investir et d’aider ne le font pas parce qu’ils n’ont pas confiance. La Tunisie aujourd’hui a besoin d’assister collectivement à quelque chose d’exemplaire à ce niveau-là. C’est-à-dire qu’il ne faut pas que ces dossiers-là soient traités en catimini, mais au contraire il faut que les procès, par exemple, soient médiatisés. Il faut qu'il y ait un vrai travail pour entraîner un effet derrière, et pour rassurer. Ça nécessite de sacrifier des têtes. Est-ce qu’ils ont envie aujourd’hui de sacrifier certaines têtes qui se retrouvent dans tous les sérails de l’Etat ? Et y compris dans les élus à l’Assemblée et ailleurs. Est-ce qu’ils ont envie de sacrifier des têtes et d’évoquer ça. Le test commence à partir de là.

Mais le défi immédiat de Youssef Chahed, n’est-il pas de faire baisser la tension sociale, très vite ?

Ça va de pair parce que vous ne pouvez pas contester que les gens qui le demandent une augmentation de salaire parce qu’ils n’y arrivent pas, et c’est une réalité, il y a une cherté de la vie en Tunisie qui a atteint son maximum, il y a les salaires qui ne suivent pas par rapport à l’inflation, on est dans quelque chose qui est galopant. Et en même temps, il n’y a rien de fait par rapport à des gens qui continuent à s’enrichir. Parce qu’on a des nouveaux riches d’après le 14 janvier 2011, on a toute une classe d’islamistes qui s’est enrichie massivement et aujourd’hui avec des signes extérieurs de richesses extraordinaires et dont tous les enfants sont les écoles privées. Comment voulez-vous demander à un ouvrier qui s’est sacrifié de ne pas réclamer une augmentation ? C’est beaucoup trop flagrant, et c’est au vu et au su de tous. C ’est impossible d’apaiser s’il n’y a pas de signaux en face allant dans la lutte entre ces phénomènes d’enrichissement illicites et autres.

Sur le plan politique, l’échéance c’est la tenue dans les meilleurs délais des premières élections municipales de l’après-révolution ?

Et qui coûtent très cher aujourd’hui au pays parce que le fait qu’il n’y ait pas de légitimité par rapport aux équipes qui sont à la tête des communes aujourd’hui, il y a un laisser-aller à tous les niveaux. Ça va aussi bien de l’entretien des villes, de la propreté, que du fonctionnement des institutions locales et autres. On paye trop cher la facture. Et donc il y a urgence à passer aux élections réellement.

« Le Printemps arabe » en Tunisie n’est pas mort ?

Bien sûr qu’il n’est pas mort. On est encore en plein dans ce processus. On n’est pas encore passé à la post-révolution. On n’est pas encore dans quelque chose d’entériner et finaliser, c’est-à-dire qu’on a entamé la première partie qui concerne la transition politique, qu’elle a eue lieu maintenant. Maintenant, c’est le reste qui doit suivre et il y a une révolution culturelle aussi qui aussi doit se faire. Qui dit changement, bouleversement, mutation, dit aussi en face, résistance au changement. Donc ce n’est pas encore fini.

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