Félicité Tchibindat: quand «les enfants ont des vies brisées», tout le monde «souffre»

Les années de violences de Boko Haram dans le bassin du Tchad ont engendré une crise humanitaire qui se dégrade avec 1,4 million d’enfants déplacés selon le dernier rapport de l’Unicef. Félicité Tchibindat est la représentante de cet organisme au Cameroun. Elle est notre Invitée Afrique.

L’Unicef vient de publier un nouveau rapport. Il concerne la crise humanitaire dans la région du lac Tchad, suite aux violences du groupe armé islamiste radical, Boko Haram. Ce rapport met l’accent sur les enfants déplacés dans la région. Dans quelles conditions vivent-ils ?

Félicité Tchibindat: Ce sont des enfants qui ont été enlevés de leur lieu normal d’habitation. Beaucoup ont dû fuir. Ils ont trouvé refuge soit dans des communautés hôtes, soit dans des sites de réfugiés.

Je prends le cas du Cameroun. Nous avons 190 000 personnes qui sont des déplacés internes et 65 000 qui sont des réfugiés. J’ai rencontré ces personnes, des enfants qui sont déplacés. Je peux vous raconter l’histoire de deux d'entre eux qui ont dû fuir parce que leur village a été attaqué. Les parents sont décédés et ils ont fui avec la foule. Ils se sont retrouvés avec une famille et cette famille les a accueillis.

Ce sont des conditions très difficiles parce qu’ils ont été arrachés de leur foyer, de l’école, de leur famille. Ils se retrouvent alors dans des familles d’accueil qui sont souvent pauvres mais qui ont vraiment le sens de l’hospitalité.

Vous parlez de ces enfants qui se retrouvent déplacés. Il y a aussi ceux qui sont toujours pris au piège dans des zones inaccessibles ?

Absolument. Les enfants sont de plus en plus utilisés par la secte Boko Haram pour être corvéables à merci ou encore pour servir à porter des bombes. On le voit lors des attaques-suicide. Une fois sur quatre, les porteurs de bombes-suicide sont des enfants.

Ce sont donc des conditions difficiles pour ces jeunes qui souvent ne sont pas au courant et ne savent pas ce qui se passe. Ils sont utilisés à cause de cette fragilité. Ce sont de grands traumatismes pour ces enfants.

Au Nigeria, par exemple, nous avons pu accéder à des zones libérées. C’est vraiment un spectacle désolant avec des taux de malnutrition très élevés, des enfants qui n’ont pas été à l’école pendant tous ces mois, avec des problèmes de santé et de traumatismes aussi.

C’est pour cela que l’Unicef essaie d’apporter un appui à la fois en termes de soins de santé, de prise en charge pour la malnutrition mais aussi de prise en charge psycho-sociale parce qu’il faut vraiment essayer d’aider ces enfants à retrouver leur normalité.

Et pour pouvoir justement leur venir en aide, vous comptez beaucoup sur l’aide internationale. Où on est-on sur ce plan ?

Pour les pays comme le Cameroun, le Nigeria, le Tchad et le Niger, nous avons besoin d’environ 308 millions de dollars. Jusque-là, nous n’en avons reçu que 41 millions, soit 13% seulement du montant.

Nous aimerions apporter un appui psycho-social à près de 600 000 enfants. C’est notre objectif pour 2016. Nous en avons atteint à peu près 170 000. La prise en charge concerne aussi 4 millions d’enfants pour ce qui est des soins de santé ; 1,4 million de personnes pour l’accès à l’eau ; 1,1 pour bénéficier de l’hygiène et de l’assainissement et près d’un demi-million que nous voulons aider à repartir à l’école. Donc, c’est important.

Cette crise est souvent oubliée parce qu’on parle d’autres crises. C’est vrai que dans le monde il y a beaucoup d’autres crises. Cependant, cette crise touche le cœur même d’une société et d’une région, avec quand même près de 2 millions 600 000 enfants qui sont accueillis dans des familles et qui essaient de s’en sortir. Par ailleurs, c’est important aussi de pouvoir agir maintenant parce que les conséquences à moyen et long terme peuvent déstabiliser toute la région et l’entrainer dans une pauvreté encore plus grave.

C’est pour cela que nous lançons un vrai appel pour faire en sorte que ces enfants et ces femmes ne soient pas oubliés.


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