A la Une: Brexit, magnitude 51,9

Une semaine pile après celle déclenchée par l’assassinat de la député britannique Jo Cox, qui avait déjà, de façon aussi dramatique que sidérante, porté la campagne électorale à son point paroxystique, l’onde choc du Brexit d’hier se mesure d’abord, dans la presse française de ce samedi matin, à ses titres, bien sûr.

A commencer par celui du Figaro. « Séisme en Europe », lance ce journal conservateur, sur fond d’Union Jack, le drapeau britannique, dont les plis semblent tomber comme un rideau sur les étoiles du drapeau européen, qu’il recouvre pour n’en laisser plus que quatre apparaître, sorte d’Union européenne réduite à sa portion congrue.

« Sidération » également à « la Une » de Libération, sur laquelle Boris Johnson, suspendue à une tyrolienne et drapeaux britanniques en mains, ressemble à un rescapé en train d’être évacué d’un navire qui fait naufrage, tandis que ce quotidien français lui lance un simple « good luck » (« bonne chance ») en choisissant ainsi de personnaliser « en Une » le choix, hier, des sujets de Sa Majesté la reine d’Angleterre, en soulignant que le Brexit a été « porté notamment par Boris Johnson ».

Mais déjà, hier après-midi en France, les lecteurs de journaux-papier avaient eu, dans les kiosques, un avant-goût de cette sidération en découvrant « la Une » de l’édition spéciale du journal Le Monde. Laquelle « Une », dans le style épuré qui a fait la réputation du quotidien du soir, se bornait à sobrement consigner que « le Royaume-Uni quitte l’Europe », mais en le signalant en caractères tellement énormes qu’on sentait, à sa simple lecture, à quel point le moment était historique pour le journal Le Monde, à « la Une » duquel Samantha Cameron, l’épouse du Premier ministre britannique semble essuyer une larme aux côtés de son mari devant le 10, Downing Sreet, tandis que l’éditorialiste du quotidien du soir insistait sur le « désaveu majeur », sur le « revers de dimension historique » subit hier par l’Union européenne. « Messieurs les Anglais, vous avez tiré, regrettait Le Monde, alors « out », c’est « out » ».

Brexit : le changement, c’est maintenant

La nuit a-t-elle porté conseil ? A la lecture de l’éditorial Le Figaro, il semble bien que « oui ». « Ça n’est pas la fin du monde », lance tout de go son éditorialiste, « l’ile ne va pas couler », et cette crise « requiert des ressources de sang-froid et d'intelligence », insiste ce quotidien. Certes, mais pour quoi faire, ou pour faire quoi ? Réponse du Figaro, il faut « tout changer ». Car pour « sauver l'Europe, il faut être prêt à tout revoir : la méthode, les objectifs et les participants ». Et l’on se demande alors si l’on n’est pas en train de mieux comprendre « la Une » de ce journal, avec ces quatre étoiles seulement qui demeure sur le drapeau européen…

Libération, de son côté, a, ce matin, la référence historique. Etant rappelé le mot attribué au roi de France Louis XVI, alors qu’au début de la Révolution de 1789, le souverain demandait s’il s’agissait d’une « révolte » alors qu’en fait, il s’agissait bel et bien d’une « révolution », Libé, à l’inverse, débute ainsi son éditorial : « Un vote négatif ? Non, sire, une révolte populaire ! ». Voilà donc ses lecteurs rassurés. A l’attention, probablement, de ceux d’entre eux qui se seraient demandé si le Brexit était une « révolution », leur quotidien favori ce matin les tranquillise… Il ne s’agit que d’une « révolte ». On respire, et, « oui », la nuit a manifestement porté conseil. Mais à y regarder de plus près, on soulignera ici le qualificatif choisi par Libération. La révolte en question est « populaire ». Le voilà le sujet qui alarme ce journal : le peuple qui gronde…

Et pour mieux s’en convaincre, Libé souligne que « plus on est pauvre et âgé en Grande-Bretagne, plus on rejette le projet européen », que « Les classes populaires, sur tout le continent, (…) se tournent vers les nations comme vers le seul rempart crédible face aux excès de la mondialisation. Elles se replient partout sur leurs racines, sur leur identité, qui est le patrimoine de ceux qui n’ont pas de patrimoine ». De quoi, en effet, affoler Libération car, énonce-t-il, « le nationalisme, ce poison multiséculaire, en profite pour restaurer l’ancienne intolérance et faire tourner à l’envers la roue de l’Histoire ».

Justement. Interrogé par Libé, l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair déclare ce matin au sujet du populisme : « Ces derniers mois, j’ai répété qu’il me semblait évident que des mouvements populistes ou extrémistes pouvaient s’emparer d’un parti, mais qu’ils n’étaient pas en mesure de prendre le pouvoir. Ce référendum montre le contraire ».

Sentiment partagé par Le Parisien. Faisant le tri des conséquences du Brexit, ce quotidien populaire français estime qu’il n’y a qu’une chose « à craindre », une « unique » chose à craindre, énonce-t-il, c’est que « le populisme ne gangrène un jardin européen piétiné par la montée des forces xénophobes et que l’histoire se répète ».

Et oui, soupire La Croix, « l’intérêt économique à court ou moyen terme ne suffit plus à répondre aux attentes des peuples. Et c’est bien le drame de l’unification européenne dont le moteur a toujours été principalement celui de l’intégration économique. Les hommes et les femmes de ce continent aspirent à autre chose qu’au seul accroissement de la richesse par le libre jeu du marché ». Voilà pourquoi, sermonne le quotidien catholique, il faut « changer de moteur ».

Brexit : le retour du Grand Yaka

Comme on vient en effet de le voir, « changer de moteur », « tout changer »…, après une nuit manifestement porteuse, chacun y va ce matin donc de son conseil. Dans la presse quotidienne nationale comme dans la régionale.

Témoin Ouest-France. Pour ce quotidien du Grand-ouest du pays, « il est urgent qu'un sursaut permette à l'Union de se remettre en marche ». Témoin l'Union/L'Ardennais. Pour cet autre journal dont le fief est situé à l’opposé, dans le nord-est de la France, et selon lequel il faut « un peu de courage et oser reconnaître que l'Europe a besoin d'une refondation politique pour se prémunir d'une dislocation mortelle ». Ou encore, dans le sud du pays, le journal La République des Pyrénées pour lequel « c'est toute la construction européenne qu'il faut reprendre ». Vaste programme…

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