Des enseignants compétents et motivés

Afin que l’école publique reprenne la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre.

RFI : Dans de nombreux pays du continent, l’année académique qui s’achève aura été rythmée par des grèves d’élèves, d’étudiants et, aussi, d’enseignants. Le développement, dites-vous, ne sera pas possible, si certains gouvernements ne prennent pas conscience de l’importance des enseignants dans la société.

Il est préoccupant, en effet, que plus d’un demi-siècle après les indépendances, de nombreux gouvernements ne réalisent toujours pas que l’avenir de leurs jeunes nations repose sur l’éducation. Ils laissent leurs systèmes éducatifs se dégrader, et le meilleur baromètre de cette négligence – de cet abandon – est, en effet, le sort fait aux enseignants. Lorsque l’on observe bien l’état du continent, les pays qui s’en sortent le mieux (ou le moins mal) sont ceux dont les populations sont relativement bien éduquées. Et la bonne éducation commence nécessairement à l’école primaire, puis dans le secondaire. Lorsque ces bases sont faussées, produire en surabondance des diplômés universitaires n’est d’aucune utilité, surtout lorsque ces diplômés n’ont pas le niveau des titres qu’ils brandissent.
Bien des personnes qui ont ensuite été considérées comme des génies vous diront que le déclic, dans leur cursus, a été une classe de l’école primaire. Et le maître d’école primaire, autrefois, était une personnalité dans le quartier, dans le village, dans la cité. Il se trouve que, aujourd’hui, ces enseignants sont mal payés et exposés à une paupérisation attristante.
Or, si le maître de l’école primaire n’est pas épanoui et motivé, il ne peut préparer ses écoliers à un long cheminement dans les études.

La régularité des salaires, soit. Mais vous ne pouvez pas suggérer que l’on octroie aux enseignants du primaire des rémunérations qui n’ont rien à voir avec leurs diplômes…

Il ne s’agit pas de décréter l’état de bonheur permanent. Mais lorsque, sur le terrain, vous voyez dans quel état de dénuement sont demeurés des maîtres d’école qui ont ouvert la voie à des médecins, à des ingénieurs, à des ministres, ou même à des chefs d’Etat, l’on se dit qu’il y a, quelque part, une anomalie, sinon une grande injustice. D’ailleurs, les ministres et les chefs d’Etat d’aujourd’hui n’envoient plus leurs enfants à l’école publique par laquelle eux-mêmes sont passés, et qui leur a si bien réussi. Ils les envoient dans des établissements privés locaux hors de prix ou, pire,  en Occident, parce qu’ils ont conscience de l’état dans lequel sont les écoles publiques, avec des enseignants démotivés.
Il se trouve que les citoyens ordinaires n’ont pas les moyens de soustraire leurs enfants à cet enseignement public à l’abandon. Cela revient donc à sacrifier le plus grand nombre, irrémédiablement. Ceux qui en sortent avec un bagage suffisant pour poursuivre de longues études sont des miraculés.

Que faire dans ces conditions ?

Les syndicats d’enseignants qui ne sont pas inféodés au pouvoir ont souvent des propositions raisonnables. Le minimum est quand même de s’assurer qu’un salaire d’instituteur permet à ce dernier de vivre et de faire vivre sa famille. Et pourquoi ne pas offrir en plus aux enseignants des primes, en fonction des résultats qu’ils obtiennent ? Une école peut, par exemple, recevoir un bonus global, en fonction du pourcentage de réussite au certificat d’études. Et ce bonus sera ensuite réparti entre tous les enseignants de l’école. Ils seront forcément plus motivés, s’ils savent que la qualité de leur travail est reconnue et récompensée. Pour que le maître qui a formé et guidé les premiers pas de purs génies n’ait plus l’air d’un paria à côté de ses anciens élèves.

D’aucuns vous diront que ce sont là des propositions démagogiques…

Peut-être. Mais il est inutile de parler de développement ou d’émergence, quand l’on ne peut pas assurer une base solide aux enfants qui entrent à l’école. Ce ne sont pas les seuls enfants des riches, envoyés en Europe, qui développeront une nation. Tel grand ministre sahélien vous dira, par exemple, qu’il est le pur produit des grandes écoles créées, à l’époque, par Félix Houphouët-Boigny à Yamoussoukro.

Il y a donc des systèmes qui marchent…

Bien sûr. Mais le rôle de l’Etat ne peut pas être secondaire, en matière d’éducation.
Et, pour revenir aux grandes écoles de Yamoussoukro, le porte-parole du gouvernement ivoirien a annoncé, à l’issue du conseil des ministres cette semaine, que, pour la première fois, le concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique de Palaiseau, en France, a été organisé - en mai dernier - en Côte d’Ivoire. Pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, huit candidats ont été retenus, dont cinq issus des classes préparatoires du seul Institut national Polytechnique Félix Houphouët-Boigny de Yamoussoukro.
Il faut juste des pépinières saines, pour faire éclore tous les talents d’une nation, et cela implique impérativement des enseignants compétents et motivés.

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