La loi du silence a été brisée hier, et en quelques heures, un député renommé, l’écologiste Denis Baupin, démissionnait de son poste de vice-président de l’Assemblée nationale, contraint et forcé, après la publication de témoignages de femmes disant avoir été victimes de harcèlement et d’agressions sexuels de sa part. L’intéressé a aussitôt contesté ces accusations tandis que l’une des victimes présumées dénonçait « l’omerta et les petits arrangements entre amis. »
« Tout est dit, en quelques mots, s’exclame La Croix. L’omerta ? Toujours à l’œuvre, qui permet, en couvrant l’agresseur, de protéger l’institution, le parti ou l’entreprise dont il est membre. Le silence qui s’impose également à l’agressé croyant ainsi se protéger. Car à qui parler ? À qui confier cette violence, sans en subir une nouvelle, celle de devoir supporter le " parole contre parole " ? Quant aux " petits arrangements ", constatons, pointe encore La Croix, que dans ce genre d’affaires, personne ne semble tomber des nues : " Tout le monde savait ", comme dans l’affaire Strauss-Kahn par exemple. Alors, " tout le monde " s’est tu. »
Et La Croix de hausser le ton : « il faut, partout, refuser ce silence. Dénoncer les crimes et récuser toute complaisance à l’égard de faits qui peuvent être éventuellement prescrits mais n’en constituent pas moins des atteintes à la dignité des personnes. »
Les Verts comme les autres…
« Comme dans l’affaire DSK, renchérit La Montagne, il apparaît, après la révélation du scandale, que beaucoup " savaient " et se sont tus par esprit de parti. Un appareil, même petit, songe avant tout à se préserver. Cela étant, le député de Paris ne pouvait espérer continuer à passer entre les gouttes. Comme l’a montré le précédent DSK, l’omerta est de plus en plus fragile à l’heure de l’info omniprésente. Et les mentalités ont changé : le temps n’est plus où des parlementaires aux mains baladeuses se vantaient de leur réputation de " chaud lapin ". »
Pour Le Journal de la Haute-Marne, « ce silence de plusieurs années prouve en tous les cas que Les Verts n’échappent pas aux travers qu’ils reprochent aux partis traditionnels. Le politiquement correct y est solidement installé. Toujours prompts à dénoncer la pollution ou la malbouffe, leurs dirigeants - souvent des femmes d’ailleurs - se bouchent les yeux et les oreilles quand la prédation sexuelle sévit dans leurs rangs. Cécile Duflot n’a rien vu. Emmanuelle Cosse, elle aussi ancienne patronne d’Europe Écologie, non plus. Épouse de Denis Baupin, on peut comprendre qu’elle ne le charge pas, mais disons pour le moins que ça fait désordre. Son passage rondement mené de la présidence de son parti au ministère du Logement ne lui avait pas fait que des amis. Les mésaventures de son mari étalées sur la place publique risquent d’attiser les braises de la vengeance. »
Complot ?
Et justement, et si ce déballage était téléguidé ? Plusieurs journaux se posent la question. A l’instar de Sud-Ouest : « Pourquoi maintenant ?, se demande le journal. Difficile de ne pas songer au congrès d’Europe Écologie qui aura lieu dans un mois. Difficile de ne pas imaginer derrière le moment où éclate cette affaire quelques règlements de comptes politiques, aussi bien contre Cécile Duflot, questionnée sur son silence, que contre Emmanuelle Cosse, l’épouse de Baupin, et, à travers elle, contre la tendance pro-Hollande des écolos. Ces élues ont le mérite de briser la loi du silence sur un phénomène qui ne concerne probablement pas que leur parti. Mais à EELV comme ailleurs, les plus justes combats ne sont jamais loin des considérations tactiques, et briser l’omerta n’empêche pas les arrière-pensées. »
En effet, relève aussi L’Union, « lorsqu’on sait les divisions profondes qui déchirent Les Verts, entre ceux qui, à l’exemple de Baupin et d’Emmanuelle Cosse, défendent une alliance étroite avec les socialistes et ceux qui, derrière Cécile Duflot, estiment que la rupture avec François Hollande est définitive, on ne peut pas exclure que des règlements de compte internes aient conduit à ce grand déballage consternant. »
Electrochoc ?
En tout cas, cette affaire Baupin servira peut-être d’électrochoc. Libération veut le croire, en publiant une tribune signée par plus de 500 militants et militantes, hommes et femmes politiques de tous bords. En voici le texte : « Pour que ce soit le comportement des hommes qui change et non celui des femmes qui s’adapte, pour que les choses bougent enfin et que l’impunité cesse, pour que la culpabilité change de camp, il faut parler. Cette parole, ces paroles doivent enfin devenir un sujet politique et sortir de l’interpersonnel, car c’est profondément de cela qu’il s’agit. Pour toutes ces raisons, poursuivent les signataires, nous souhaitons, remercions et encourageons les femmes qui ont parlé ; elles ont rendu un grand service à notre démocratie. Et pour que cela ne reste pas une fois de plus lettre morte, il va falloir que les partis politiques osent prendre ce sujet à bras-le-corps. »
Tout ça pour ça ?
A la Une également, la loi travail… « Pas de majorité pour François Hollande », constate Le Figaro en première page. « Face au refus d’une quarantaine de députés PS de voter la loi El Khomri, dont l’examen a repris hier à l’Assemblée, le gouvernement devrait recourir rapidement à l’article 49-3. » Commentaire du Figaro : « Quand le texte était sorti, mi-février, beaucoup avaient parlé d’une mini-révolution. À juste titre. Le projet de loi Travail semblait enfin pouvoir donner plus de libertés aux entreprises pour embaucher. Las, trois mois plus tard, constate le quotidien d’opposition, il ne reste quasiment plus rien du document initial et la majorité n’a jamais été aussi proche de l’explosion. Bien sûr, le gouvernement conserve une arme pour faire passer sa loi, sans vote du Parlement. Celle de l’article 49-3. On ne lui en reprochera pas l’usage. Il est inscrit dans la Constitution. On a plutôt envie de dire : tout ça pour ça !, soupire Le Figaro. À quoi bon pareille dramatisation pour une réforme déjà largement vidée de sa substance ? »
L’Humanité pour sa part crie au déni de démocratie : « Le 49-3 a déjà été utilisé trois fois sous le gouvernement Valls pour imposer la loi Macron, un autre texte furieusement libéral, et vise non seulement à museler les parlementaires, mais aussi à couper court aux mobilisations sociales. Cette mesure, si elle était une nouvelle fois mise en œuvre, serait d’autant plus antidémocratique qu’elle heurte de plein fouet une opinion publique qui refuse ce projet de dumping social, de régression, de précarisation accentuée de l’emploi. Bref, conclut le quotidien communiste, il s'agit d’une muselière pour faire taire notre peuple. »