François Mazet : Et le continent, depuis, d’un bout à l’autre, le pleure. Comment expliquer que la disparition de cet artiste touche autant, bien au-delà des amateurs de cette Rumba congolaise qu’il a su si bien populariser ?
En Afrique, les grands artistes de variétés sont des demi-dieux, parce que, par-delà les frontières, les barrières linguistiques, sociales et autres, leurs tubes accompagnent les meilleurs moments de la vie. Ils rythment les réjouissances populaires, dans les bars et les dancings, comme les moments de détente, dans les night-clubs sélects des grandes villes africaines, et même de Paris, Bruxelles, Montréal, ou ailleurs. Dans les couches populaires comme dans l’élite, tous ont eu, à un moment ou à un autre, à se trémousser sur Analengo, Maria Valencia ou d’autres tubes de Papa Wemba.
Que dire de la dimension politique que prennent ces hommages ?
C’est une bonne chose. Même s’il faut déplorer que les autorités de leurs pays attendent trop souvent que ces stars disparaissent, avant de leur reconnaître la valeur qui est la leur, et de leur faire la place qu’elles méritent. Il se trouve que la patrie de Papa Wemba compte parmi celles qui, de tous temps, ont le plus fait danser l’Afrique. Tour à tour Congo Léopoldville, Congo Kinshasa puis Zaïre, avant d’être la République démocratique du Congo que l’on connaît aujourd’hui, ce pays a toujours concentré une forte proportion de talentueux musiciens et artistes de la chanson. Leurs noms sonnent comme autant de monuments, tels de grands maîtres, que l’Afrique révère depuis plus d’un demi-siècle : Franco, Wendo Kolosoy, Joseph Kabassélé, Pépé Kallé, Tabuley, le Seigneur Rochereau, Kester Emeneya, Aurlus Mabele, Pamelo Mounk’a, Sam Mangwana, Kofi Olomidé, Papa Wemba, et tant d’autres. Joseph Kabassélé, « le Grand Kallé », qui compte parmi les plus prestigieux, est mort, en 1983, dans un dénuement total, dans le Zaïre de Mobutu Sese Seko. D’autres, tout aussi grands, et peut-être plus grands, ont disparu, y compris sous Kabila père et fils, sans avoir eu droit à de tels hommages de la République. On est un peu perdu, à voir les autorités congolaises, se préoccuper du sort de Papa Wemba…
N’oublions pas, dans l’interminable liste des grands noms, les divas et autres voix d’or féminines, telles Mbilia Bell, Abeti Massikini, M’Pongo Love, Tsala Muana. Et certains de ces grands avaient, aussi leurs orchestres, tout aussi célèbres : l’O.K. Jazz, les Bantous de la capitale, Viva la Musica, et tant d’autres, auxquels il faut ajouter le Staff Benda Bilili, qui est un peu la Buena Vista Social Club du Congo.
Vous avez cité les grands maîtres. Mais pas les tableaux, les œuvres...
Ce sont, en effet, des œuvres d’art. Grâce au web, on peut même, aujourd’hui, retrouver et écouter certains de ces titres relativement anciens, et l’on s’aperçoit que ce sont autant de chefs d’œuvre, susceptibles de faire encore « un malheur » comme l’on dit aujourd’hui. Citons, pèle-mèle : Tu m’as déçu Chouchou, Kaful Mayay, Mokolo Nakokufa, Mabélé, Maria Mboka, L’argent appelle l’argent, Kiri Kiri… Mabina ya Mboka, Mabina ya sika, BB 69, La Vérité Blesse, Ngalula, Lipua Lipua, et même Le téléphone sonne de Suzy Kasseya, immense compositeur, qui a nourri presque tous les grands. Un tel patrimoine mériterait d’être connu, revalorisé, car ce sont des œuvres éternelles, comme le sont celles de Brassens, Brel, et quelques autres, encore plus anciens.
Un artiste a suggéré que l’on consacre une journée africaine à Papa Wemba. Que penser d’une telle idée ?
Des artistes de la trempe de Papa Wemba, l’Afrique en compte par dizaines, et il en a même quelques-uns que l’on pourrait situer un peu au-dessus du grand Papa Wemba. Il n’y aurait pas assez d’une année entière pour attribuer une journée à chacun d’entre eux. On ne l’a pas fait pour Miriam Makeba, Francis Bebey, Fela et quelques autres, qui ne sont plus et le mériteraient pourtant. On ne pourra pas le faire pour Hugh Masekela, Pierre Akendengué, Manu Dibango et tant d’autres, qui sont, heureusement, encore des nôtres. Une rue, une place, pourquoi pas ? Mais une journée, non ! Vraiment, non !