RFI : Monseigneur Siméon Ahouana, comment êtes-vous parvenu à ce chiffre de 316 954 victimes de la crise ivoirienne ? Je précise que c’est entre 1990 et 2011.
Monseigneur Siméon Ahouana : Ce chiffre c’est très simple. C’est le recensement, la collecte et la série de données et puis nous avons créé la cellule de vérification. La vérification documentaire, appels téléphoniques et la vérification sur le terrain.
Quels sont les faits que vous avez retenus, les critères selon lesquels vous avez dit : oui, cette personne est une victime de la crise et elle peut bénéficier d’une indemnisation ?
Les critères sont simples. Il faut avoir des pièces pour justifier les préjudices. Et puis si tu n’as pas de pièces, alors on se réfère à des critères objectifs tels que les témoignages des chefs de communautés, des chefs religieux, des chefs coutumiers, par des témoins crédibles.
Quel barème avez-vous défini entre les faits, par exemple meurtres, viols, etc. et les indemnisations ?
La CONARIV n’est pas dans l’opérationnalité. Nous, on conçoit, mais c’est le ministère de la Solidarité, de la Cohésion Sociale et de l’Indemnisation des Victimes qui est chargé de l’opérationnalité.
Vous ne vous occupez pas d’argent, en clair ?
Non, non… Moi, je ne m’occupe pas d’argent.
Où sont situées les victimes que vous avez identifiées ? Est-ce qu’il y a des endroits plus touchés que d’autres, par exemple ?
Oui. Il y a ce que nous appelons les zones de graves violations des droits humains. Et ces zones c’est Bouaké – le centre – c’est l’ouest. Au niveau du district d’Abidjan il y a Abobo et Yopougon.
Ça représente combien de victimes parmi les 316 000 victimes ?
Pratiquement ces zones-là font plus des deux tiers des victimes inconnues !
Et dans ces zones diriez-vous que la réconciliation n’est pas achevée ou bien qu’elle n’a même pas commencée ?
Non, ce que je veux dire c’est qu’il y a encore beaucoup, beaucoup de choses à faire. On ne peut pas résoudre le problème de la réconciliation avec un bâton magique ! La réconciliation c’est un processus. Donc c’est avec le temps et avec la bonne volonté des uns et des autres, que ce soit le parti – le gouvernement – et que ce soit tous les partis politiques, il faut qu’on se mette ensemble pour que le processus aille de l’avant.
Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion qu’il restait beaucoup, beaucoup à faire ?
Eh bien cette conclusion… Il ne faut pas être un expert pour ça ! Il suffit d’ouvrir les yeux et puis de sentir les gens comme on dit, de les sentir, de les entendre parler… On voit que les gens ont encore des choses sur le cœur.
Donc vous considérez que le travail de la précédente Commission Dialogue Vérité et Réconciliation n’a pas porté ses fruits et qu’Alassane Ouattara n’a pas suffisamment agi jusqu’à présent ?
Non. Le président l’a dit dans son discours, il a fait sa part et il va continuer de faire sa part. Mais j’insiste sur le dialogue communautaire, le dialogue national. Je crois que le gouvernement a une large partie, mais chacun de nous, chaque Ivoirien et chaque Ivoirienne, doit jouer sa partition ! Il faut qu’on se parle !
La présence de l’ancien président Laurent Gbagbo à la CPI, la Cour pénale internationale, bloque-t-elle d’après vous la progression de la réconciliation ?
Il ne s’agit pas de voir les choses en termes de blocage. Je pense qu’il faut voir les choses à leur juste mesure. Je pense que nous évoluons dans le cadre de la justice conditionnelle. La justice conditionnelle dit : « Ni vengeance, ni impunité ». Bon… la justice suit son cours, mais on verra bien !
Diriez-vous que la justice a été unilatérale jusqu’à présent ?
… Il y a des procédures en matière de justice et tout ça et que jusqu’ici on ne juge qu’un camp. Or, la bataille s’est passée entre deux camps ! Quand vous vous battez, vous vous battez avec quelqu’un ! … Mais je crois que c’est une question de temps. Il faut laisser le temps à la justice de faire son travail dans la globalité.