Les chiffres sont hallucinants : la bourse de São Paulo est en pleine béatitude. Elle a regagné 30 % depuis son plus bas du mois de janvier alors que la situation économique est catastrophique. Le produit intérieur brut a reculé de 3,8 % l'année dernière, plongeant le Brésil dans la pire récession jamais connue depuis 1990 et cela va continuer en 2016 selon les prévisions du FMI.
Dans cette euphorie boursière, Petrobras parvient même à contredire tous les analystes baissiers : la valeur de son action a doublé en deux mois alors que la compagnie nationale pétrolière est en plein naufrage. Minée par les scandales de corruption, elle croule sous l'endettement. Mais cette réalité, les investisseurs n'y prêtent plus du tout attention. Leurs regards sont entièrement tournés vers le Parlement où ils voient déjà se profiler le départ de Dilma Rousseff car c'est d'après eux la solution à tous les problèmes économiques du Brésil.
Le vice-président Michel Temer, qui fera l'intérim en cas de destitution, est perçu comme très favorable aux milieux d'affaires.
Dans ces milieux-là, on rêve du grand soir à l'envers. Que la protection sociale patiemment construite par Lula, consolidée par Dilma Rousseff, soit détricotée, que le marché du travail soit libéralisé, afin de faire repartir au plus vite l'économie. Que la pénurie d'infrastructures qui ralentit le Brésil depuis des décennies soit enfin rattrapée avec des grands travaux pour construire les routes, les chemins de fer, les centrales électriques attendues à travers le pays.
Mais avec quel argent Michel Temer pourrait-il agir ? Le déficit public est énorme, il représente aujourd'hui 11 % du produit intérieur brut. Après l'avoir creusé un peu plus pour essayer de relancer la croissance, Dilma Rousseff a nommé un financier intransigeant pour rétablir les comptes ; Joaquim Lévy. Il a fini par démissionner en décembre dernier sans avoir pu infléchir la courbe des dépenses. Quelle que soit l'équipe qui dirigera le Brésil à partir de lundi, elle disposera d'une très faible marge de manœuvre budgétaire.
L'héritage de Lula, l'Etat providence qui a sorti de la pauvreté des millions de de Brésiliens sera-t-il vraiment remis en cause si Dilma Rousseff est contrainte au départ ?
Les solutions préconisées par les libéraux prévoient d'abord la fin de l'indexation des retraites sur le salaire minimum et un coup de frein au rythme de la hausse du smic. L'objectif est double : soulager les entreprises et mater l'inflation, la plaie récurrente de l'économie brésilienne. Mais ces réformes nécessitent un vote au Congrès. Or, trouver une majorité ne sera pas aisé. Les élus empêtrés dans des affaires de corruption sont en train de perdre la confiance de leurs électeurs. Oseront-ils voter des mesures aussi impopulaires et très pénalisantes dans un pays en crise ? Par ailleurs un certain nombre de prestations sociales, pour l'éducation, la santé ou la retraite sont garanties par la constitution. Pour y toucher, il faut une majorité des deux tiers au congrès. Une barrière sur laquelle pourrait très vite buter toute velléité de réformes.
Le vote de dimanche ne changera donc pas forcément la donne économique.
C'est d'abord un séisme politique qui se prépare. Si le processus de destitution de Dilma Rousseff est acté, le Brésil entrera dans une nouvelle ère d'incertitude, qui pourrait bien donner des frayeurs à la bourse de Sao Paulo.