A la Une: d’un attentat à l’autre

Le double attentat de Bruxelles il y a 8 jours : 35 morts ; l’attentat de Lahore au Pakistan, dimanche, 72 morts, essentiellement des femmes et des enfants. Le premier a fait la Une des médias du monde entier pendant plusieurs jours ; le second a été relégué en pages intérieures… Pourquoi cette différence de traitement ? Le site d’information Slate.fr tente de trouver des réponses. La faute à qui ou à quoi ? D’abord aux journalistes… « Un événement est d’autant plus traité qu’il est nouveau, l’attentat de Bruxelles était le premier en Belgique depuis celui du Musée juif en 2014, et qu’il repose sur une proximité géographique ou culturelle… On parle parfois de manière crue de “loi du mort au kilomètre” » : plus l’événement est loin géographiquement, plus il faudra de morts pour qu’on en parle…

La faute donc à ceux qui traitent l’information mais aussi à ceux qui la reçoivent, relève également Slate. Slate qui donne la parole à Martin Belam, responsable des réseaux sociaux et des nouveaux formats au Guardian : « vous allez voir des gens se plaindre que les médias accordent moins d’importance aux atrocités commises en dehors de l’Europe occidentale qu’à celles qui se produisent dans des villes comme Paris ou Bruxelles. Mais, poursuit-il, les données montrent qu’il est bien plus compliqué d’obtenir que les gens lisent ces articles. […] Il est indéniablement vrai que la couverture est moins importante, mais il est aussi vrai, et regrettable, qu’il semble y avoir encore moins d’audience pour. »

Exemple, en 2009, Johan Hufnagel, aujourd’hui directeur délégué de Libération et alors rédacteur en chef de Slate.fr, pointait ainsi que, « quand Libé a suivi la guerre en Bosnie dans les années 90 en proposant des Unes sur le sujet […], combien de fois les ventes du journal ont plongé ? »

Les bombes ne font pas de différence entre les religions…

Alors ce matin, dans la presse française, quelle est la couverture de l’attentat de Lahore ? Eh bien, rien de comparable avec Bruxelles, mais cette couverture est assez complète. Trois éditoriaux, des appels de Une, et plusieurs reportages, dont une double-page dans Libération. « Lahore, la douleur après l’horreur », s’exclame le journal en première page, avec cette photo d’une femme qui a perdu son fils, entourée d’autres mères, en pleurs.

« Le calvaire des chrétiens du Pakistan », constate le journal. Pourquoi les chrétiens ont-ils été visés par les terroristes ? Réponse de Libé : « minorité qui représente entre 2 % et 3 % des 190 millions de Pakistanais, les chrétiens sont une cible facile et vulnérable pour les terroristes. Ils sont issus des anciens “intouchables”, discriminés socialement depuis des générations et cantonnés à des métiers mal payés – éboueurs, femmes de ménage, chauffeurs, etc. Malgré les nombreux attentats ou actes de violence récurrents ces dernières années contre les minorités, notamment chiite, l’Etat pakistanais n’a eu ni la volonté politique ni les moyens de les protéger, empêtré dans d’importants problèmes énergétiques, économiques et de lutte contre le terrorisme des talibans. »

« Ils voulaient surtout tuer des enfants, soupire Le Monde, alors ils ont visé l’endroit du parc où se trouvent les balançoires. Autant que possible, ils voulaient tuer des enfants chrétiens, alors ils ont choisi de frapper un dimanche de Pâques. Une de ces tueries aveugles qui caractérisent l’époque, dira-t-on, et qui, si elles n’épargnent pas l’Europe, sont le lot trop commun de la région dite du +Grand Moyen-Orient+. (…) Les talibans pakistanais -ceux qui trouvent que le pays n’applique pas la charia avec toute la rigueur requise- ont fièrement revendiqué l’attentat, pointe encore Le Monde. La faction Jamaat-ul-Ahrar de la nébuleuse talibane locale a expliqué que la cible était les chrétiens. Finalement, constate le journal du soir, la plupart des victimes sont des musulmans. »

En effet, relève La Croix, « les bombes ne font pas de différence entre les religions. Parmi les morts, on compte aussi bien des chrétiens que des musulmans. Et la violence terroriste ne connaît pas davantage les frontières. On l’a vu aussi dans les récents attentats en Belgique, en Turquie, au Nigeria, au Tchad, au Cameroun et en Côte d’Ivoire ou encore vendredi dernier dans un village irakien où un autre attentat-suicide revendiqué par Daech a fait 32 morts à l’issue d’un match de football. »
De cet attentat en Irak, également, les médias français ont très peu parlé…

L’organisation Etat islamique recule sur tous les fronts

A la Une, encore et toujours, Daech en perte de vitesse… « Syrie - Irak : l’organisation Etat islamique recule sur tous les fronts » : c’est ce que constate Le Figaro en première page. « Une série de revers a récemment forcé l’organisation jihadiste à abandonner une partie de son territoire en Irak et en Syrie. […] La reprise de Palmyre par les forces loyales à Bachar el-Assad a été le week-end dernier une défaite importante pour l’organisation Etat islamique. » Toutefois, note le journal, « les revers subis par les djihadistes n’ont pas encore entamé leur potentiel de nuisance. »

En effet, commente Le Figaro, « frapper le nœud de vipères n’empêche pas les morsures venimeuses de l’EI loin de ses bases, et peut même les multiplier. Quatre attentats en un an en Europe, cinq en Turquie, le massacre dimanche soir à Lahore de chrétiens fêtant Pâques – œuvre des talibans, autre version du fanatisme islamiste. Ce combat-là est loin d’être fini, alors que nous nous efforçons, non sans mal, de passer de la défensive à l’offensive sur le terrain policier et sur celui du renseignement. Sans parler de l’affrontement idéologique, où nous restons dramatiquement à la traîne. » Et Le Figaro de conclure : « le sauvetage du joyau antique de Palmyre ne constitue que les prémices de la bataille. »

Et puis deux constats… Le premier : le retour en force de la Russie sur la scène internationale… « L’intervention russe, fin septembre, aura été un facteur décisif, pointe Ouest France. À Moscou, les médias officiels ne se privent pas de sanctifier le rôle providentiel des avions russes dans la reprise de Palmyre, ce week-end […]. La Russie a soutenu et sauvé son allié Assad, fait plutôt rare dans la région, sans s’embourber. Elle a restauré son standing de puissance mondiale, à égalité avec Washington, et c’est pour Poutine un point crucial. »

Et puis, la chute de Bachar el-Assad n’est plus la priorité du moment… « “Ni Daech ni Bachar”, avait affirmé Laurent Fabius, rappelle Le Républicain Lorrain. Le ministre de nos affaires étrangères semblait alors fermement décidé à ne tolérer aucun compromis susceptible de sauver le régime de Damas […]. Ce temps-là est révolu, mais la gêne est énorme, estime le quotidien lorrain. La progression de l’armée de Bachar qui se réapproprie le pays en infligeant défaite après défaite à l’organisation Etat islamique n’est bizarrement déplorée par personne […]. Les attentats de Paris et de Bruxelles sont passés par là. L’urgence absolue consiste désormais à liquider Daech. Et tant pis s’il faut aussi s’en remettre à la force militaire retrouvée d’un régime détestable. »

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