Bénin: les raisons du rejet de Zinsou

Quand des chefs d’Etat africains servent de sous-traitants pour la France dans ses desseins sur le continent…

Les scrutins de dimanche dernier ont délivré leurs verdicts, et l’Afrique, selon une formule que vous aimez bien, se révèle, une fois encore, le continent du meilleur et du pire. Dans ce qu’un journaliste audacieux a osé appeler le super Tuesday africain, la palme d’or revient, incontestablement, au Bénin, n’est-ce pas ?

Si nous nous cantonnons aux flagorneries entre francophones, oui, incontestablement. Mais comment ignorer que, ce même dimanche, ce Super Sunday, en l’occurrence, le Cap-Vert lusophone a réussi, sans tambour ni trompette, une alternance exemplaire ! La formation historique, qui a conquis, par les armes, la souveraineté internationale pour cet archipel, a été évincée par le Mouvement pour la démocratie (MPD). Janira Hopffer Almada, présidente du Parti africain pour l’indépendance du Cap Vert (PAICV), au pouvoir depuis 2001, a reconnu sa défaite et aussitôt félicité Ulisses Correia E Silva, du MPD, sans qu’il y ait eu besoin de sortir les chars ou de couper le téléphone et l’Internet…

Alors, pour le Bénin, ce serait plutôt le grand prix du jury, est-ce cela ?

C’est, en effet, une belle séquence de réhabilitation, pour cette démocratie qui sombrait, à vue d’œil. Mais le seul fait d’élire un président à la faveur d’un processus démocratique clair et transparent ne suffit pas pour décréter que l’on est entré en démocratie. Et, contrairement à ce qu’a laissé entendre Lionel Zinsou, il n’a pas posé un acte inédit, en admettant sa défaite et en félicitant le vainqueur.

En 2012, Abdoulaye Wade avait reconnu sa défaite et félicité Macky Sall, trois heures à peine après la clôture du vote, avant de le gratifier, le jour de l’investiture, d’un geste identifié par les bons musulmans comme étant une bénédiction. Les représailles judiciaires viendront plus tard...

En août 2013, au Mali, Soumaïla Cissé s’est rendu, en famille, au domicile d’Ibrahim Boubacar Kéita, pour le féliciter. Et en novembre dernier, au Burkina, Zéphyrin Diabré a félicité Roch Marc Christian Kaboré, sans en faire un fait de gloire.

Légitimé, désormais, par le suffrage universel, Lionel Zinsou va devoir s’intéresser davantage aux subtilités de la vie politique dans son pays et dans toute l’Afrique, pour ne plus s’entendre reprocher sans cesse de ne pas connaître le Bénin, ou de mal connaître ce continent.

A la suite de sa nomination comme Premier ministre, en juin dernier, vous disiez, ici même, que Lionel Zinsou apprendrait assez vite à quel point les Béninois peuvent être durs avec leurs frères de la diaspora, que la greffe ne prendrait pas... Est-ce ainsi qu’il faut expliquer le rejet qui a vu, au second tour de la présidentielle, la quasi-totalité des candidats éliminés au premier tour rallier le camp de son adversaire ?

Vous pouvez aussi bien dire que tous se sont ligués contre lui... Bien des peuples du continent rejettent instinctivement leurs concitoyens venus de la diaspora, dès lors que ceux-ci cherchent à prendre le pouvoir, ou à prendre part au banquet des privilèges qui vont avec. Mais les mots blessants que l’on a entendus, les propos virulents, allant, parfois, jusqu’à lui dénier l’appartenance à ce peuple, étaient insupportables. Sa contre-attaque, insinuant que son adversaire est un descendant de négriers, et qu’il traînerait des tonnes de casseroles judiciaires, était tout aussi inadmissible. Ce que vous appelez rejet découle surtout de la précipitation avec laquelle Lionel Zinsou, à peine parachuté dans ce paysage, a entamé son ascension politique. L’accueil aurait sans doute été moins violent, s’il s’était personnellement installé dans le pays, deux ou trois ans avant l’échéance présidentielle.

Est-ce que l’idée qu’il a pouvait être soutenu, ou même imposé par Paris a-t-elle pu constituer un handicap pour Lionel Zinsou ?

Evidemment ! En plus d’être de la diaspora, cette idée constituait, en effet, aux yeux de nombre d’Africains – pas seulement des Béninois – un inconvénient majeur. Même si le soutien de la France a été plus subtil que ne l’a été l’immixtion de certains chefs d’Etat africains, jouant aux sous-traitants pour une France désormais soucieuse de sauver les apparences dans ses desseins africains. Ces dirigeants africains ont cru qu’en y injectant de gros moyens financiers, ils pouvaient manipuler le choix d’un peuple aussi déterminé que celui du Bénin. Monumentale erreur d’analyse ! C’est à croire que la cinglante leçon infligée par les Burkinabè ne leur a pas servi.

Partager :