RFI : Le président Idriss Deby a listé un certain nombre de conflits lors de son discours de début de mandat et il a notamment parlé de la Libye. Quelle initiative allez-vous prendre ?
Moussa Faki Mahamat : Déjà l’année dernière, il a été décidé de la mise en place d’un comité des chefs d’Etat de l’Afrique. Et à la conférence, il a été proposé la désignation du président Kikweté, ancien président de la Tanzanie, comme envoyé spécial de l’Union africaine pour la Libye. Nous savons qu’un accord a été signé le 17 décembre dernier à Skhirat au Maroc, un gouvernement a été formé qui malheureusement n’a pas été accepté. C’est un pas. Et je crois que nous devrions continuer, pour parachever ce processus de paix dans un pays, qui en plus de la crise politique, est devenu malheureusement un repère important de Daech et cela est inquiétant pour toute la région, pour tout le continent.
Et une fois ce gouvernement transitoire mis en place, est-ce qu’on peut imaginer une force internationale contre Daech ?
Tous les partenaires ne pensent pas pour l’instant à une intervention étrangère en Libye. Tout dépend de la mise en place du gouvernement qui sera l’interlocuteur, d’abord de la communauté internationale, et je crois qu’à ce moment on appréciera, on avisera. Et je pense que le moment venu il faut que la communauté internationale également assume ses responsabilités.
Autre sujet prioritaire : le Burundi. Visiblement, les chefs d’Etat africains sont divisés sur la question de savoir s’il faut envoyer une force de 5 000 hommes de l’Union africaine pour stabiliser le territoire burundais. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Une décision a été prise par le CPS. Par la suite, nous avons constaté des réticences, pour ne pas dire un refus du gouvernement burundais d’accepter une force armée. Maintenant, la proposition consiste à conditionner l’envoi de cette force-là à l’acceptation par le Burundi. Ce qui est positif, c’est que le gouvernement burundais accepte maintenant un dialogue inclusif et urgent. Il y a eu un premier round à Antebbe au mois de décembre passé, un rendez-vous a été pris pour début janvier, je crois qu’il a été reporté pour des raisons pratiques… Donc nous pensons que c’est vers cela qu’il faut appuyer. Par contre, si jamais la situation s’aggrave il ne faut pas hésiter à une intervention, parce qu’on ne peut pas permettre ce qui s’est passé dans cette région. Ça c’est totalement inacceptable.
Il faut empêcher un nouveau génocide dans les Grands Lacs ?
Absolument ! De toutes les façons ça, ça ne pourra jamais être accepté. Donc nous avons des observateurs et je crois qu’on va négocier avec toutes les parties. Il ne faut pas que la situation sécuritaire se dégrade et surtout, il ne faut pas que les populations civiles soient les cibles des tueries et dans ce cas, notre responsabilité à tous est engagée.
Donc vous n’excluez pas le déploiement d’une force de l’Union africaine dans les mois qui viennent ?
Tout dépend de l’évolution de la situation et il ne faut pas l’exclure parce que tout dépend de la volonté des parties. Nous allons scruter l’évolution de la situation à l’intérieur du pays.
Est-ce qu’un comité de chefs d’Etat pourrait être créé pour se rendre au Burundi précisément ?
Il est question de l’envoi d’une mission de haut niveau. On n’a pas encore déterminé le contour. Il faut créer la confiance, il faut rassurer le gouvernement du Burundi qui n’a rien à craindre. Parce que cette force, si jamais cette mission se rend sur place, l’une des premières tâches c’est de faire le monitoring au niveau de la frontière entre le Burundi et le Rwanda. Le Burundi s’est plaint que des incursions viennent du Rwanda. Il est question également de désarmer ceux qui détiennent illégalement des armes – je crois que c’est dans l’avantage du gouvernement du Burundi. Il s’agit, de concert avec la police du Burundi, de veiller à la protection des civils. Je ne pense pas qu’il y ait une crainte particulière à avoir vis-à-vis de cette mission. De toutes les façons, il faut lever les suspicions et créer la confiance pour que l’irréparable ne puisse se passer.
Le troisième point majeur c’est la montée du terrorisme dans les grandes villes du Sahel : Bamako en novembre, Ouagadougou en janvier. Deux grandes capitales touchées par les jihadistes. On a le sentiment que les Etats sahéliens sont démunis devant cette menace.
C’est la raison pour laquelle nous avons, dans un souci de mutualiser nos moyens, mis en place le G5 Sahel, les cinq pays allant de la Mauritanie au Tchad, en passant par le Mali, le Burkina et le Niger. Je crois qu’on constate qu’il y a des groupes terroristes qui sont dans la région, qui sont également au nord du Mali, qui alimentent l’insécurité et qui maintenant dépassent les frontières du Mali, qui vont plus en profondeur, on a vu Ouagadougou qui est atteinte. Le président de la République du Tchad, en sa qualité de président du G5 s’est rendu lui-même à Ouagadougou. Hier, il a eu une concertation entre les cinq pays membres du G5 sur les voies et moyens de mutualiser nos efforts notamment dans le cadre de la défense de la sécurité, pour pouvoir ensemble essayer de faire face à toutes ces menaces. C’est vrai, nous sommes des pays très vastes, nos moyens sont limités, mais je crois qu’en les mettant ensemble et en appelant la communauté internationale notamment, à tout faire pour contenir le désordre en Libye, je crois que l’un dans l’autre, on puisse faire en sorte que ces virus-là ne s’enfoncent davantage en Afrique.
Lors de son discours d’arrivée à la tête de l’Union africaine le président Deby a eu ce mot : « A l’Union africaine nous parlons trop, nous n’agissons pas assez ». Est-ce que vous voulez mettre en mouvement cette vieille maison ? Est-ce que vous pensez qu’il faut la secouer ? La réveiller ?
Je pense qu’il faut se l’avouer, il y a beaucoup de décisions, beaucoup de discours, très peu d’action. Nous n’allons pas faire une révolution, mais vraiment nous allons demander aux uns et aux autres d’avancer.
Un exemple très concret : cette force de réaction rapide dont tout le monde parle depuis cinq, voire sept ans, personne ne la voit venir concrètement. Est-ce que ça veut dire que c’est un projet mort-né ?
La Force africaine en attente, malheureusement, n’est pas encore opérationnelle. Et donc il y a un certain nombre de pays dont le Tchad, qui pensent qu’il faut, sur la base du volontariat, que les pays qui sont prêts et qui sont capables de mettre des forces ensemble, le fassent. Et nous allons faire de notre mieux pour que cela soit réellement fait.