A la Une: dérapages en Corse

Les quotidiens de ce lundi reviennent largement sur les violences de jeudi, vendredi et samedi qui se sont produites à Ajaccio en Corse. Violences d’abord exercées contre des pompiers, venus éteindre un feu dans un quartier sensible de la préfecture de Corse-du-Sud, et agressés par des voyous. Violences exercées ensuite, en représailles, contre une salle de prière musulmane et un vendeur de kebab, situés non loin de ce quartier populaire qui abrite une importante population d’origine immigrée.

Triste constat pour La Croix : « des exemplaires du Coran déchirés et brûlés, une salle de prière saccagée, sur fond de slogans xénophobes : quelle que soit la responsabilité des pouvoirs publics d’avoir laissé se développer à Ajaccio un ghetto de non-droit, les images renvoyées par la Corse, en ces lendemains de Noël, sont terribles. Non seulement, estime le quotidien catholique, parce qu’il s’agit d’une tentative d’un petit groupe d’habitants de se faire justice soi-même après l’agression déplorable contre des sapeurs-pompiers, ce qui est toujours dangereux en démocratie. Mais, surtout, par ce que ces images révèlent de la grande confusion qui s’installe progressivement dans le pays, entre religion, origine, et délinquance. Avec la tentation de faire des croyants musulmans les boucs émissaires, sacrifiés sur l’autel de l’identité nationale. »

La République des Pyrénées montre du doigt l’extrême-droite : « ce n’est pas parce que le FN a obtenu en Corse son score le plus médiocre des régionales que l’île serait épargnée des vents mauvais qui soufflent ailleurs. L’extrême droite continentale l’a rêvé, ses extensions insulaires l’ont fait. »

« Y aurait-il une singularité corse ?, s’interroge La Charente Libre. Rien n’est moins sûr, répond le journal. Juste un particularisme insulaire qui encourage l’île à interpréter à sa façon les lois de la République. On voit bien qu’il en faudrait peu pour légitimer les violences racistes, au titre que les pompiers sont un corps sacré sur l’île et que les étrangers ne feraient qu’y remplir les prisons. La Corse s’arrange des assassinats de rue et des règlements mafieux mais tient en horreur la petite délinquance, véritable trouble à l’ordre naturel des choses. »

Tensions exacerbées

Pour Libération, « il suffisait d’une étincelle… » Libération qui pointe « l’islamophobie, latente depuis plusieurs mois », sur l’Ile de Beauté. « A l’origine de cette flambée de violence, il y a, bien sûr, l’agression des pompiers, explique Libé. […] Mais au-delà de cet épisode précis, “on sent des années de rancœur”, estime un Ajaccien. Une rancœur dirigée vers les Jardins de l’empereur, quartier de 3 000 âmes marqué par la pauvreté, le chômage, et dont la population est majoritairement issue d’Afrique du Nord. Un quartier sur lequel police et justice assurent garder un œil, notamment concernant les risques de repli communautaire et de radicalisation, liés à l’enclavement du quartier et au phénomène de “ghettoïsation à petite échelle”. » Un quartier qui « fait peur, poursuit Libération, à une frange de la population, déterminée à “ne pas laisser le problème des banlieues s’installer en Corse”. » Il faut dire que sur l’île, « comme ailleurs, pointe encore le journal, l’actualité de 2015 a exacerbé les tensions au sein de la population. Non-musulmans contre musulmans, ces derniers endossant le costume de boucs émissaires devant le risque d’une prétendue “islamisation” de l’île. »

En tout cas, pour Le Figaro, François Hollande se doit de réagir… « Sa tâche première consiste à faire respecter l’ordre républicain partout en France. À commencer par les cités, estime le quotidien d’opposition. On s’est résigné à l’invraisemblable idée selon laquelle la police ne peut plus se rendre là où elle le devrait. Comme les pompiers, le Samu et autres services publics. Il est urgent, s’exclame Le Figaro, de renverser ce funeste ordre des choses, d’imposer la loi partout et d’une manière intraitable, sous peine de voir grandir ces ghettos qui n’ont d’autre ordre que celui des bandes et/ou celui des prêcheurs de haine. À l’heure où le pays s’interroge sur ce qu’il est et où certains défendent une forme coupable de relativisme, le chef de l’État doit aussi rappeler, pointe Le Figaro, qu’il existe une identité française, et non plusieurs. Une identité française exigeante et qui repose sur un socle non négociable de valeurs communes. Son camp n’aime pas l’expression ? Tant pis. Il en va de la cohésion nationale et de la paix civile. S’il ne la défend pas, s’il ne l’impose pas, d’autres s’en chargeront à sa place, à leur façon. Comme en Corse cette semaine. » Et Le Figaro de s’interroger : « est-ce vraiment ce que l’on veut ? »

« Monsieur le Président, vous n’avez pas honte ? »

Autre grand sujet ce matin dans les journaux : la déchéance de la nationalité pour les binationaux nés en France et condamnés dans les affaires de terrorisme… Au lendemain du 13 novembre, François Hollande avait annoncé que cette mesure allait être inscrite dans la constitution. Après quelques hésitations, il a confirmé son annonce, en fin de semaine dernière, provoquant un véritable tollé dans son propre camp. Benoît Hamon, Julien Dray ou encore l’ancien Premier ministre, Jean-Marc Ayrault sont montés au créneau hier pour s’insurger contre cette mesure qui établirait de fait une distinction entre deux citoyens de naissance, suivant, qu’ils soient binationaux ou non.

« Monsieur le Président, vous n’avez pas honte ? », lance ce matin dans Libération Dominique Sopo, le président de SOS Racisme. Dominique Sopo qui dénonce le « cynisme, selon lui, de François Hollande, qui utiliserait cette mesure pour se faire réélire en 2017. »

Finalement, relève Libé, « François Hollande tente un coup politique à entrées multiples : réaffirmer son autorité, soutenir une mesure plus populaire dans l’opinion que dans son camp et prendre la droite à son propre piège en l’obligeant à supporter cette disposition plébiscitée par les franges les plus conservatrices. […] En voulant sortir des “cadres habituels” pour chercher l’union nationale, Hollande a surtout réussi pour le moment à unir son propre camp contre lui. »

Courte vue ou plan subtil ?

Les Dernières Nouvelles d’Alsace dénoncent une « politique à courte vue, […] une mesure sans aucun effet sur la lutte contre le terrorisme, comme Hollande l’a confessé lui-même la semaine dernière, et qui n’a resurgi que pour de basses raisons politiciennes. Symbolique, elle l’est oui, absolument. Au sens, estime le quotidien alsacien, où elle valide les thèses du Front national et crédibilise son discours, en rabotant le droit du sol et en instituant deux catégories de Français. C’est une balle dans le pied que se tire le gouvernement. Le fond de l’histoire est que François Hollande est convaincu que la présidentielle de 2017 se gagnera au centre, autrement dit à la droite de la gauche. »

Pour La Montagne, restons prosaïques… « Chacun s’accorde sur un point, la mesure qui fait polémique n’aura pas d’impact réel sur le terrorisme. Et elle ne devrait concerner que quelques individus. Alors, pourquoi la maintenir dans le projet de révision de la Constitution ? Pour au moins deux raisons, explique le journal : premièrement, sur le fond, c’est un geste symbolique à l’encontre de ceux qui se sont mis en rupture avec les valeurs qui font la Nation. Deuxièmement, sur la forme, l’engagement a été pris par le président devant le Congrès, et on ne comprendrait pas que la parole ne soit pas tenue. »

En tout cas, constate La Presse de la Manche, « François Hollande montre d’indéniables capacités de derviche tourneur. En fait, il s’est piégé lui-même, mais peut-être cela fait-il partie d’un plan plus subtil encore, dont nous découvrirons les prochains épisodes. Pour l’heure, l’opposition gronde, la gauche est divisée, et la réforme constitutionnelle n’est pas certaine d’être adoptée. Les temps, décidément, sont durs. »

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