Anthony Lattier : La campagne de Macky Sall, en 2012, a-t-elle été dopée par des fonds provenant de Moscou, récoltés par Lamine Diack, pour couvrir le dopage des athlètes russes ? La question se pose, après les révélations de l’ex-président de l’athlétisme mondial. Le PDS d’Abdoulaye Wade, en victime, exige l’ouverture d’une enquête, tandis que le ministre sénégalais de la Jeunesse, lui, botte en touche, en affirmant qu’en ce temps-là, l’opposition était plurielle. Que penser de tout cela ?
Jean-Baptiste Placca : Le soupir gêné que vous entendez depuis Dakar cache une grande perplexité. Nier et démentir est un piteux réflexe de politicien. Face à un scandale aussi monumental, la première question qui vient à l’esprit est celle de savoir pourquoi Monsieur Diack, ce vieil homme de 82 ans, irait inventer un mensonge aussi gros, alors qu’il sait Macky Sall en situation de pouvoir, donc de représailles, terribles, et d’autant plus violentes, si tout cela ne reposait sur aucune réalité. A son âge, en Afrique, comme probablement en Russie, le désir de confession devient une seconde nature. On ne ment plus. On avoue.
Lorsque le ministre de la Jeunesse du gouvernement sénégalais rappelle que l’opposition à Abdoulaye Wade, en ce temps-là, était plurielle, on peut comprendre que le petit milliard de franc CFA que représente le million et demi d’euros a pu être réparti judicieusement entre Lamine Diack et son fils, d’une part, et différentes formations de l’opposition, de l’autre. A quelle hauteur pour que parti ? Il faudra sans doute plonger dans les carnets secrets de Lamine Diack pour le savoir.
Du côté du pouvoir sénégalais, on laisse entendre que la campagne de Macky Sall a été exclusivement financée par l’argent des militants et du parti, bref, sans des fonds venus de l’étranger…
En voilà encore un, de gros mensonge. Vous en souvenez-vous ? Lorsque Abdoulaye Wade, président, voyait Macky Sall se positionner comme son challengeur, il a, à plusieurs reprises, tenté de compromettre sa candidature, en l’accusant d’avoir violé la législation sur le change, en faisant entrer dans le pays des fonds venus du Gabon ou d’un pays y ressemblant…
En l’absence de législations claires et de financements décents de la vie politique, les opposants africains, de tout temps, ont dû aller chercher ailleurs les fonds pour prendre part à des compétitions aussi importantes que les élections présidentielles, et même, souvent, pour vivre, tout simplement. Feu Omar Bongo, justement, a été un des tout premiers à avoir compris que les opposants des autres pays ne pouvaient survivre et espérer un jour conquérir le pouvoir sans une aide substantielle de sa part. Et il en a aidé ! Parfois, pour gêner des chefs d’Etat que lui-même n’aimait pas trop. Souvent, parce qu’il aimait bien certains de ces opposants. Sa mort, de ce point de vue, a donc pu être vécue, par beaucoup, comme la fin du monde…
A vous écouter, on dirait que le financement étranger serait vital pour la démocratie en Afrique…
Hélas !, ceux qui sont au pouvoir pensent que leur survie et donc leur longévité aux affaires passe pas leur capacité à affamer leurs adversaires politiques, ainsi que tous ceux qui les soutiennent. Dans bien des pays, même ceux qui exercent des professions libérales sont sevrés de dossiers d’Etat, dès lors qu’ils s’affichent comme militants, ou même soutiens de l’opposition. Parfois, les sociétés privées qui dépendent des commandes de l’Etat sont mises en garde par le pouvoir contre toute tentation de confier des affaires aux avocats, experts comptables et autres notaires qui sont dans l’opposition ou s’affichent avec les opposants. Dès lors, le financement étranger, pour ces opposants, devient une affaire de vie ou de mort. Pourquoi se mentir ? Pourquoi mentir aux populations, en affirmant que Macky Sall ou quelque autre opposant devenu président n’a pas eu besoin d’aller s’avitailler à l’étranger ?
C’est donc systématique, à ce que vous dites…
La démocratie, en Afrique, en est encore aux fondations. Et même lorsque les murs auront atteint une certaine hauteur, il est des chantiers qu’il faudra démolir, pour rebâtir sur des fondations plus saines. Il n’y a rien de honteux à cela. En France, vieille démocratie, certaines des anomalies de financement de la dernière campagne présidentielle sont encore pendantes devant les tribunaux. Les soupçons de financements occultes sont légion, dans ce pays. Les Africains, dans ce domaine, ne souffrent donc pas d’une maladie honteuse. L’essentiel est de vouloir en guérir.