Burkina: pour parachever le modèle…

Ce que bâtissent les Burkinabè est de ces réalisations qui gênent ceux qui ont besoin de prouver que les peuples africains ne méritent pas une démocratie franche et sincère.

Olivier Rogez : Les Burkinabè votent demain dimanche, pour se choisir des députés et se donner un président. La mise en place de ces institutions marquera la fin de la transition en cours depuis l’insurrection d’octobre 2014, donc, le retour à une vie démocratique normale. Pourquoi donc les peuples du continent ont-ils autant intérêt à ce que les Burkinabè réussissent cette dernière épreuve ?

Jean-Baptiste Placca : Sans doute parce que la réussite de cette dernière étape permettra de valider une expérience parmi les plus édifiantes de la vie politique africaine, depuis les indépendances. Nombre de peuples du continent rêvent de se libérer, de la même manière que les Burkinabè, des griffes des régimes ou des clans qui les tyrannisent. Voilà pourquoi toute l’Afrique, en la circonstance, s’unit d’intention avec ce peuple. Le continent était habitué à voir les armes triompher, les militaires prendre le dessus sur les démocraties. Au Burkina, la mobilisation de la population a eu raison d’un « homme fort », que d’aucuns croyaient indéboulonnable. Cette même population a su déjouer par la suite un coup d’Etat pratiquement consommé, perpétré par un corps surarmé qui, jusque-là, semait la terreur, se croyant au-dessus des lois. Les motivations de l’héroïsme des populations étaient, clairement, l’établissement d’une démocratie franche et sincère au Burkina. Et c’est par des élections sans bavures que l’on y arrivera. Alors, oui, cette ultime épreuve est essentielle. Il n’y a pas de raison pour qu’elle ne soit pas couronnée de succès, d’autant que la campagne a été de bonne tenue.

 
Ce peuple a été présent, en très grand nombre, dans les meetings. Comment expliquer cela ?

La très grande affluence, dans certains meetings électoraux, est tout simplement la preuve que ce peuple est non seulement très politisé, mais définitivement capable de mobilisation, quand il adhère à une cause, à une idéologie. Pour ces raisons, et pour bien d’autres, le peuple burkinabè a conquis, sur la scène continentale, une respectabilité qui fait d’autant plus envie que les populations de ce pays sont d’une grande modestie, d’une humilité sincère.

Lorsque ceux qui passent pour les maîtres de la sous-région leur proposent des solutions inacceptables, les Burkinabè savent les rejeter avec vigueur. Et tant pis, si tel ou tel médiateur se sent humilié. C’est un peuple qui écrit son histoire en toute indépendance, et c’est bien la preuve que l’Afrique qui le veut vraiment peut vivre son destin, envers et contre les grandes puissances, envers et contre la communauté internationale.

La mode, en Afrique, doit-elle donc être à l’insurrection, désormais ?

Vous avez observé que bien des oppositions africaines ont tenté de reproduire, chez elles, l’expérience burkinabè. Sans succès, aucun. Parce que ces oppositions ont oublié que, derrière l’impressionnante mobilisation d’octobre 2014 – plus d’un million d’individus dans la rue, pour chasser un homme et son clan ! –, a eu pour socle du travail, beaucoup de sérieux, et une certaine abnégation. Il était présomptueux, de la part de certaines de ces oppositions, de croire qu’il leur suffit de crier : « Burkina ! Burkina ! », pour que tombent leurs dictateurs, tels des fruits mûrs. D’autant plus présomptueux que ces dirigeants tentés par un troisième, ou un septième mandat ont, eux aussi, tiré des leçons de la mésaventure de Blaise Compaoré, pour se prémunir par moult subterfuges, par une multitude de pare-feu. Cela ne veut pas dire que ces dirigeants ne tomberont jamais. Mais le sérieux des opposants, combiné à l’action d’une société civile honnête et rigoureuse, seront indispensables, pour avoir raison des présidents à vie, des apprentis-dictateurs…

Que peut-on, que doit-on souhaiter aux Burkinabè, dans cette phase ultime de la restauration de la démocratie dans leur pays ?

Une vigilance de jour comme de nuit, parce que ce qu’ils bâtissent est de ces réalisations qui gênent. Elles gênent ceux qui ont besoin de prouver qu’une démocratie franche et sincère n’est pas ce qu’il faut pour les pays africains, pour les peuples de ce continent.

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