Gilles Holder (anthropologue): «Le salafisme a une histoire africaine»

Y a t il deux islam au Mali ? Un islam tolérant fondé sur les traditions africaines et un islam radical importé du Moyen-Orient ? L'anthropologue français Gilles Holder travaille au CNRS et à l'Institut des mondes africains. Cinq jours après l'attentat de Bamako, qui a fait 22 morts, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Gilles Holder, est-ce que vous pensez, comme le chef de la Minusma, le Tunisien Mongi Hamdi, que les terroristes sont très bien implantés au Mali malgré tous les efforts pour les neutraliser ?

Gilles Holder : Je dirais qu’effectivement il y a des espaces dans le territoire qui sont assez mal contrôlés ou des zones non administrées. Donc effectivement, il y a des poches qui peuvent servir de base de repli, y compris au centre ou au sud du pays.

Parmi les groupes jihadistes implantés au centre du Mali, il y a le Front de Libération du Macina, FLM, d’Amadou Koufa qui en août dernier a revendiqué l’attentat meurtrier de Sévaré près de Mopti : 13 morts. Est-ce que ce mouvement est comme l’on dit, bien implanté dans la communauté peule ?

Je pense qu’il faut vraiment relativiser ce degré d’implantation. Je pense que la majorité de la communauté peule, si tant est qu’il y a une communauté peule tout à fait homogène, ne se retrouve pas évidemment dans ce mouvement qui s’appelle Force de Libération du Macina. Je vous rappelle que ce FLM est issu d’une scission du Mujao et en particulier de la mouvance dite peule du Mujao, et qu’elle s’inscrit dans une alliance avec Ansar Dine de Iyad Ag Ghali.

Ce que je peux dire, peut-être, sur ce FLM c’est qu’il n’est pas de même nature, finalement, aussi bien al-Qaïda au Maghreb islamique, Aqmi, que ce qui a donné al-Mourabitoune, dans la mesure où il revendique [le FLM], non seulement une dimension territoriale par rapport à ses revendications jihadistes, mais aussi une identité qu’on pourrait dire ethnique, en l’occurrence peule, autour d’un modèle historique qui est celui de l’Etat théocratique peul du Macina.

Donc c’est une revendication historique en fait.

C’est une revendication qui fait appel à une historicité. C’est-à-dire que c’est l’image effectivement, d’un Etat qui a régi un territoire avec une administration développée au 19ème siècle – dans la première moitié du 19ème siècle – et qui a administré cet Etat selon les préceptes de la charia. Donc c’est un modèle d’Etat islamique qui en l’occurrence est fondé sur un jihad lui aussi et qui prend attache avec l’Etat de Sokoto au Nigeria.

Donc on peut parler d’un jihad africain, c’est ça ?

On peut parler tout à fait d’une doctrine jihadiste africaine. Et en particulier dès la fin du 18ème siècle, entre la fin du 18ème siècle et tout au long du 19ème siècle, avec des Etats islamiques issus du jihad et qui ont comme logique interne, comme dimension interne, le jihad.

A la suite de cet Etat théocratique peul viendra un autre Etat théocratique, celui de El Hadj Oumar Tall, qui vient lui de la Vallée du Sénégal dans les années 1860-70 et qui va donc vaincre l’Etat théocratique du Macina et installer sa capitale à Ségou et une autre capitale d’ailleurs par le biais de son neveu à Bandiagara, au cœur du pays Dogon. Donc tout ce 19ème siècle est secoué par des jihads qui aboutissent à la création d’Etats théocratiques, d’Etats islamiques.

Et en même temps on entend le président du Sénégal Macky Sall qui déclare : «Nous ne pouvons pas accepter que des modèles qui ne correspondent ni à nos traditions ni à notre conception de l’islam soient imposés en Afrique simplement parce que les Africains sont pauvres et qu’il faut financer des mosquées et des écoles».

Oui, sans doute. C’est la responsabilité d’un chef d’Etat africain aujourd’hui de tenir de tels propos et on ne peut qu’y souscrire objectivement. N’empêche que par exemple un mouvement comme le FLM ne se fonde pas uniquement sur un principe général du jihad ou sur un modèle moyen-oriental, mais effectivement sur une histoire proprement africaine et qui se loge entre le Sénégal et la boucle du Niger.

Donc ça c’est un élément important qui est d’autant plus problématique que ces Etats théocratiques, ces Etats islamiques, ce sont eux qui ont affronté la conquête coloniale à la fin du 19ème siècle. Donc inclure ça dans la mémoire nationale, dans la mémoire patriotique, disons dans le roman national, est évidemment problématique, surtout dans une conjoncture où le terme d’Etat islamique, évidemment effraie à juste titre l’ensemble des gens et à commencer par les musulmans.

Et quel écho rencontre ce type de discours islamiste dans la population malienne aujourd’hui ?

Je dirais qu’une attitude ou un discours quelque peu radical du point de vue de l’islam peut être relativement bien accueilli au Mali, dans la mesure où il correspond aussi à une émancipation culturelle vis-à-vis de l’Occident.

Au Mali justement, l’ancien ministre de la Défense et ancien chef des services de sécurité, Soumeylou Boubèye Maïga, dénonce la pratique du salafisme comme une agression extérieure qui est contraire à la pratique africaine de la religion basée sur la tolérance et la solidarité.

Oui, je pense qu’on ne peut pas reprocher à un responsable politique de tenir ces propos qui sont en adéquation avec l’opinion internationale. Il est de la mission des universitaires, des intellectuels, de réfléchir peut-être un peu plus en profondeur sur cette dichotomie qui est très fictionnelle. Je vous rappelle que c’était la même fiction qui dominait dans l’administration coloniale et en particulier s’agissant des affaires religieuses, les affaires musulmanes.

En gros, nous avions affaire à un islam maraboutique, un islam noir, comme l’écriront les administrateurs coloniaux, en particulier Marcel Cardaire, définiront justement cette notion d’islam inoffensif, tourné uniquement vers la religion et qui ne se mêle pas de politique. Et de l’autre côté un islam importé relativement fanatique qui vient du Moyen-Orient. Donc cette dichotomie-là dans la société actuelle malienne tient difficilement.

On n’a pas un islam tranquille, paisible, sécularisé et de l’autre un salafisme revendicatif.

La chose est beaucoup plus compliquée que cela. Je dirais que le salafisme a une histoire déjà africaine, n’est pas récent. L’implantation des premiers Wahhabites au Mali, en particulier à Bamako, date du milieu des années 40. Ce sont des retours de quelques étudiants pèlerins qui étaient au Caire à l’université al-Azhar en particulier et puis qui sont passés à Médine et à la Mecque, et qui reviennent avec la doctrine de la Wahabia qui se définit comme apolitique.

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