Une semaine après la tragédie parisienne, l’Institut français d’Abidjan, Côte d’Ivoire, recevait hier soir un collectif d’artistes venus exprimer leur compassion. Plus tôt dans la journée, une centaine de parlementaires ont marché dans le quartier administratif du Plateau, pour rendre aussi hommage aux victimes des attentats de Paris.
« Les députés ivoiriens dans les rues du Plateau », raccourcit ce matin la Une du quotidien Le Patriote, proche du président Alassane Ouattara.
Celle du quotidien Le Temps, proche de l’ex-président Laurent Gbagbo, précise qu’il s’agissait de « députés RHDP », c’est-à-dire de parlementaires membres des partis formant l’actuelle majorité houphouëtiste ivoirienne, et que ces élus marcheurs d’hier au Plateau [je cite] « oublient les victimes africaines ».
Dans La Tribune Ivoirienne, le journaliste Oula Saint-Claver n’écrit pas autre chose, en rapportant notamment les remarques d’une parlementaire marcheuse d’hier. Laquelle soulignait que ces attentats côtoyaient « aussi » le quotidien de « nombreux pays africains ». Et le confrère estime que « malheureusement, lorsque ces pays sont touchés par la barbarie des terroristes, les députés n’ont jamais levé le petit doigt en guise de protestation. Aucun mort d’un quelconque pays africain, du fait de Boko Haram […] n’a eu droit à un hommage ».
Justement. « Pendant qu’ils marchaient, hier […] pour les morts de la France », les parlementaires ivoiriens sont passés devant l’Ambassade du Nigeria. Or, souligne encore Oula Saint-Claver, « ce pays africain venait à peine d’être victime des mêmes attentats terroristes qui lui ont coûté des dizaines de morts » ! Ce qui conduit fort logiquement La Tribune Ivoirienne à prédire que « si des députés ivoiriens ont entamé, depuis hier, une marche pour rendre hommage aux morts des attentats terroristes en France, il ne serait pas étonnant de les revoir dans les rues, dans les tout-prochains jours, pour faire de même pour leurs frères africains du Nigeria et de bien d’autres pays en proie à des attentats terroristes ».
Au Burkina Faso voisin mitoyen de la Côte d’Ivoire, le quotidien Le Pays craint de son côté qu’en « jetant toutes leurs forces dans la bataille de Raqqa, les Occidentaux, qui sont aussi engagés dans la lutte contre les forces du mal sur le front africain, ne se voient obligés de diminuer considérablement leurs efforts sur le continent noir. Mais ainsi va le monde », soupire le quotidien ouagalais.
Attentats : controverse politiquement incorrecte
Le site Internet Mondafrique tente justement d’analyser ce qu’il appelle « le regard politiquement incorrect des Africains sur les attentats ».
Constatant que, sur cette thématique, deux images, notamment, circulent « abondamment » sur les réseaux sociaux, l’une s’indignant que [je cite], « l’Afrique abandonne ses morts et pleure ceux de la France », l’autre se demandant « s’il y aura autant de solidarité pour les Africains » après les victimes de Boko Haram, Mondafrique note que ces images « traduisent la tentation de la “concurrence victimaire” qui traverse un certain nombre d’opinions publiques ».
Une tentation que, selon le journal en ligne, les Africains qui en sont persuadés résument ainsi en substance : « Pourquoi veut-on nous obliger à être tristes pour les Français alors que leurs médias se préoccupent peu de nos catastrophes à nous ? Pourquoi Facebook nous propose des photos de profil en hommage aux morts du Bataclan, et non à ceux de l’université de Garissa, au Kenya ? ».
Bien entendu, complète à l’inverse Mondafrique, « ceux qui sont en désaccord avec cette vision des choses – souvent des Africains vivant en France ou des Franco-Africains – expriment leur agacement face à ce “courant de pensée” ».