Dès le crash de l’Airbus avec ses 224 passagers dans le désert du Sinaï, samedi dernier, le ministre russe des Transports, Maxime Sokolov a été catégorique quand est sorti le communiqué de Daech revendiquant un attentat : « Cette information ne peut être considérée comme exacte », a-t-il déclaré. Pas d’analyse de la boîte noire ni de justification satellite, non, simplement l’idée que cela ne se peut pas car ce n’est pas dans l’intérêt de la Russie de Vladimir Poutine. On le comprend, car cette attaque appellerait immédiatement une réponse face à l’opinion publique russe que l’on sait réticente à un engagement au Moyen-Orient. Il faudrait expliquer que cette implication militaire a un coût, ce qui bien entendu se juxtaposerait avec le conflit en Ukraine, l’embargo qui lui est associé, et raviverait le souvenir de l’enlisement en Afghanistan dans les années 1980. Et puis, après tout le mensonge ou le déni sont consubstantiels de la politique de communication du Kremlin puisque, comme chacun sait, il n’y a pas de soldats russes en Ukraine.
Seulement, il faut compter avec une information mondialisée. Le doute ne peut donc que gagner les esprits quand une source officielle américaine confie à l’agence Associated Press que l’interception des communications a permis d’acquérir la certitude qu’une bombe a été déposée ou quand le Royaume Uni appuie cette même piste terroriste. Les chaînes fédérales russes évoquent alors timidement cette hypothèse. Mais Moscou, là encore, n’a pas intérêt à confirmer : il lui faudrait justifier pourquoi ses bombardements ont visé jusque-là l’Armée syrienne libre plutôt que Daech et pourquoi défendre la « Syrie utile » autour de Damas ou d’Alep a été jugée prioritaire par rapport à la lutte contre les djihadistes de l’Etat islamique. Moscou se contente de parler comme Le Caire de spéculations à propos de la version terroriste. Mais paradoxalement, la volte-face de l’aviation russe mardi dernier qui a pilonné Raqua tenu par l’organisation Etat islamique semble accréditer la thèse occidentale.
Tous ces arrangements avec la vérité, probable sinon certaine, tombent mal. Car Moscou ne cesse de se plaindre du traitement médiatique que lui réservent les puissances européennes. Elle a lancé en janvier un service d'informations multimédia en français, Sputnik, avec l'objectif de faire entendre une voix « alternative » sur les sujets internationaux. Mieux, la chaîne d’information Russia Today promet pour 2016 une version française, une sorte de « France 24 russe », dit-elle, pour proposer une vision russe de l’actualité, en particulier sur la Syrie. Pas gagné.