Antony Lattier : Suite de la saison des élections sur le continent : dimanche dernier, on a voté en Tanzanie et en Côte d’Ivoire pour élire un chef de l’Etat, et au Congo-Brazzaville, pour modifier la Constitution. Les résultats ne semblent avoir surpris personne.
Jean-Baptiste Placca : Il y avait tout de même un peu de suspense en Tanzanie, même si c’est finalement le candidat du parti de Julius Nyerere, qui a été proclamé vainqueur. Ces résultats ont été un peu chahutés par son adversaire de l’opposition, mais l’affaire semble bien réglée, en effet. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara l’a emporté avec 83,6% des voix, et là, manifestement, ni sa victoire ni son score ne semblent avoir surpris, et ses adversaires s’en accommodent, presque sans broncher.
Venant après la réélection, dès le premier tour, d’Alpha Condé en Guinée, la victoire écrasante d’Alassane Ouattara, président sortant, remet à l’ordre du jour cette question, qui est de celles que personne n’ose poser, mais qui interpelle des millions d’Africains : pourquoi ne pas considérer que chaque mandat conquis donne automatiquement droit à un second, dans la mesure où, après le second, ils consentent à s’en aller ? Plus concrètement, est-il vraiment nécessaire de perdre du temps et de dépenser des centaines de millions de francs CFA, sinon des milliards, pour organiser des élections dont le sortant sort fatalement vainqueur ? La terrible vérité étant que ledit sortant dispose, presque partout, de moyens colossaux, alors que ses adversaires font campagne avec presque rien. Dans bien des cas, le sortant détient aussi les clés de la liste électorale, et même du matériel électoral, y compris des ordinateurs et ce que l’on y installe.
Ce que vous décrivez-là n’est caractéristique que des pays où la démocratie peine à se consolider. En mars dernier, un président sortant a été battu au Nigeria !
C’est une admirable exception, et vous avez raison, il faut la saluer. Peut-être aurait-il fallu préciser que la fatalité de la victoire du sortant caractérise davantage notre Afrique francophone - appelons-la ainsi - que les pays anglophones ou lusophones. A l’exception notable de Robert Mugabe, au Zimbabwe, et de Yaya Jammeh, en Gambie, les pays où la démocratie peine à s’ancrer se recrutent davantage chez les francophones que chez les autres. En Côte d’Ivoire, il y a cinq ans, le sortant s’était proclamé vainqueur et avait, dans la foulée, prêté serment, avant d’être cerné, puis défait par une guerre qui a fait quelques 3 000 morts. Depuis, d’autres sortants se sont proclamés vainqueurs, de manière scandaleusement douteuse, et on les a laissé faire. Bref, la victoire des sortants dont il est question n’est pas toujours le reflet du choix des électeurs.
Alors, dans quelle catégorie faut-il ranger la Côte d’Ivoire de 2015 ?
Le sortant, contrairement à ce qu’il a affirmé ici et là, a mis les cinq dernières années à profit, pour affaiblir ses concurrents. C’est du travail scientifique ! Toute l’opposition a été laminée, et ceux qui ont abandonné le combat, parfois in extrémis, ont été bien inspirés. Car toute candidature face à Alassane Ouattara était un passeport pour l’humiliation. Avez-vous vu comme aucun des candidats écrasés n’a contesté les résultats ? Chacun a trouvé les arguments pour expliquer sa défaite, mais personne n’a dit qu’on lui a volé des voix, ou qu’il y a eu bourrage d’urnes dans un seul bureau de vote ! C’est presque inquiétant pour la démocratie, un tel score, sans que qui que ce soit ne bronche ou proteste.
Alassane Ouattara, lui, explique sa victoire écrasante par le fait que ses concitoyens sont satisfaits de son bilan.
En 1996, au Bénin, Nicéphore Soglo avait un excellent bilan, sur le plan économique, mais il a été battu. Même avec un bon bilan, 83,6% des voix, dès le premier tour, est un score inquiétant. Pour le vainqueur lui-même, et pour la démocratie.
Il est vrai que ce peuple, couvé par Félix Houphouët-Boigny, lui-même couvé par la France qui avait tellement besoin de montrer une vitrine prospère dans ses ex-colonies, ce peuple n’avait pas l’habitude des privations, et encore moins de la violence politique. Le sentiment d’un mieux-être, ces cinq dernières années, n’est pas feint. La rancœur des vaincus de 2010 ne s’entend peut-être pas dans les salons des villas cossues de Cocody. Elle existe pourtant.