Jean-Pierre Monzat : Nous parlons d’alternance politique et pacifique en Afrique. La diffusion et la rediffusion, par la télévision guinéenne, d’une conférence de presse du président Alpha Condé, en guise de préambule à la campagne présidentielle 2015, vous interpelle sur l’utilité d’une alternance pacifique, au niveau de la magistrature suprême, sur le continent. Pourquoi donc ?
Jean-Baptiste Placca : C’est le contenu qui inspire réflexion. Dans cette conférence de presse, le professeur Alpha Condé, retrouvant sa verve d’ancien président de la célèbre Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Féanf), s’est livré à un exercice d’explication, par le menu, de sa politique. Au point de se surprendre en train de dévoiler la philosophie qui fonde la politique minière de son gouvernement, avant de se ressaisir, mais n’en avait-il pas déjà trop dit ?
A la question d’un journaliste sur les retards dans l’attribution de certaines grandes concessions minières, il s’est lancé dans un long développement, sur la stratégie de certains groupes miniers, qui participent aux appels d’offres pour conquérir les mines guinéennes (de fer ou de bauxite), réputées parmi le plus riches. Mais, une fois ces concessions dans leur portefeuille, ces géants miniers s’abstiennent de les mettre en exploitation, parce que, par rapport aux mines moins riches qu’ils exploitent ailleurs dans le monde, cela nuirait au cours de leurs actions en bourse.
Les mines guinéennes sont-elles réellement aussi riches que le prétend le professeur Alpha Condé ?
En dehors de la mine de fer brésilienne de Carajas, en Amazonie - qui est la plus grande mine à ciel ouvert de la planète - la Guinée possède les mines de fer les plus riches au monde, notamment celle de Simandou, qui représente un siècle d’exploitation. Et pourtant, s’il faut en croire le chef de l’Etat guinéen, l’on n’en a pas extrait une seule tonne, depuis l’indépendance, en 1958. Ces mises en jachère pénalisent la Guinée, et le gouvernement a manifestement quelques subtilités, pour contrecarrer cette stratégie qui est celle des grandes compagnies minières, notamment par rapport au fer de Simandou et à la bauxite de Boffa.
Le professeur Alpha Condé parle d’appels d’offres corrects. Il était sur le point d’expliciter la contre-stratégie de son gouvernement, lorsque, sursautant, il a fait observer aux journalistes qu’une réponse franche et sincère de sa part à cette question, en direct à la télévision, reviendrait à dévoiler aux grandes compagnies minières les dispositions que la Guinée compte prendre pour contrecarrer la mise en jachère des riches minerais guinéens. Sur le ton de la plaisanterie, le président a alors fait observer au journaliste que sa question n’était pas anodine, et qu’il y avait de « gros intérêts financiers » qui donneraient cher pour entendre la réponse qu’il avait failli lui donner. Et de demander à ce confrère, dans un rire saccadé, pour qui il travaillait.
Que déduisez-vous de cet échange entre ce journaliste et le président ?
En principe, ce que le président Alpha Condé était en train d’expliquer au journaliste avant de s’interrompre fait partie des grandes stratégies, que l’on classe généralement dans les secrets d’Etat. Lorsqu’il y a une alternance pacifique, cela fait partie des dossiers importants sur lesquels un chef d’Etat sortant attire particulièrement l’attention de son successeur, en plus des dossiers qu’il lui transmet. Mais, lorsque, comme cela arrive encore trop souvent en Afrique, le changement de pouvoir se déroule de manière heurtée, brutale ou même violente, qu’advient-il de ces secrets d’Etat, de ces stratégies qui relèvent de l’intérêt supérieur d’une nation ? Le successeur, hélas !, s’empresse de changer de directeur général en charge du dossier minier, et il y a rarement passation de service, puisque, souvent, celui qui était à ce poste, homme de confiance, sinon parent du sortant, a pris la clé des champs, avec, sous les bras, tous ces dossiers « confidentiels », et même la caisse, dans certains cas.
Quelle serait donc la morale de cette histoire ?
Si l’on s’évertue tant à accoler « démocratie » à « développement », c’est parce que la première est souvent la condition du second. Et, dans les jeunes nations africaines, les deux, finalement, devraient constituer les deux faces d’une même pièce. C’est aussi pour cela que l’alternance pacifique, à la tête des Etats Africains, est si importante, si cruciale. Parce que la stratégie minière du pays devrait consister à éviter la mise en jachère de ses mines, si l’on veut préserver les intérêts de la Guinée et des Guinéens. Avec le professeur Alpha Condé ou avec un autre.