Reprise hier à Dakar du procès du dictateur tchadien après 45 jours de suspension. Reprise mouvementée… Le journal dakarois Le Quotidien raconte : « dans le temple de Thémis, l’image n’est pas belle à voir. Hissène Habré est porté de force par quatre agents pénitentiaires. Pieds en l’air, il se débat comme un diable pour sortir de l’étreinte. Il refuse de donner suite à la sommation du président de la Cour d’assises des Chambres africaines extraordinaires, Gberdao Gustave Kam, qui l’a invité à comparaître devant la barre. Et les agents pénitentiaires, qui ont reçu mandat du président de la Cour de l’amener de force, le portent jusqu’à son siège. Sous le regard impuissant de ses avocats commis d’office par le juge. Peinés et choqués par ce traitement, ses proches rouspètent et crient leur amertume : “ce n’est pas normal. Il faut arrêter. C’est une mascarade”, vocifère-t-il. Et le président de la Cour d’un ton ferme déclare : “c’est la Chambre qui a ordonné qu’on vous amène de force devant la barre et force restera à la loi”. »
Pour sa part, l’avocate des victimes a averti l’accusé, rapporte Walfadjri, autre quotidien sénégalais : « ce qui s’est passé, aujourd’hui, à Dakar est d’une importance considérable. La lecture de l’acte d’accusation d’Hissène Habré pour crimes de guerre, crimes de torture et crimes contre l’humanité a été lu. L’accusé était présent. Il a tout entendu. L’horreur des crimes décrits, les détails donnés sur le système de la répression contrastent avec la lâcheté de Habré qui se prend pour une victime. Sa passivité derrière son turban et ses lunettes noires, voire ses injures à l’encontre de la Cour, ne suffiront pas à l’absoudre. »
Leçons de morale…
Ce spectacle judiciaire inspire bien des commentaires dans la presse de la sous-région… « Le bourreau tchadien a peur du gourdin de la Cour, s’exclame ainsi le quotidien Aujourd’hui à Ouagadougou. Se comportant comme un enfant gâté, Hissène Habré a dû être trimbalé comme un pantin jusqu’au box des accusés pour faire face à son hideux passé. Habré estime que la Cour n’est pas “digne” de le juger, lui, l’ancien président aux mains maculées de sang, qui veut donner des leçons de morale. »
Pour le site d’information Fasozine, « le spectacle qu’offre Hissène Habré depuis le début de ce procès historique n’est en fait que le reflet d’un personnage qui n’a jamais accepté d’assumer ses responsabilités. Non pas seulement celles du chef d’Etat qui se devait de protéger son peuple au lieu de le torturer, mais celles simplement d’un homme qui a le courage d’affronter ses propres démons. Prompt à donner la mort lorsque tous les pouvoirs étaient concentrés entre ses mains, il exige aujourd’hui qu’on respecte son droit à ce qu’il considère comme une “justice équitable”. Alors qu’en son temps, il ne pouvait simplement pas reconnaître à ses milliers de victimes, l’inaliénable droit à la vie. »
Portée exemplaire et pédagogique
En tout cas, relève le site guinéen Ledejely.com, « la machine judiciaire est lancée de manière irréversible. » Et ce procès est « un message à l’endroit de tous les dirigeants africains qui, aujourd’hui au sommet de leur toute puissance, s’imaginent qu’ils ont un droit de vie et de mort sur leurs peuples respectifs. Pour eux, ce procès est un avertissement. […] L’autre motif de satisfaction, tout aussi symbolique, poursuit Ledejely.com, c’est le fait que ce procès soit conduit par une juridiction africaine. Là aussi, c’est un pas de géant dans l’optique d’une justice africaine souveraine. Si la tendance se maintient, cela signifiera que dans un avenir pas nécessairement lointain, aucun dirigeant africain indélicat ne pourra s’abriter derrière le prétendu racisme qui sous-tendrait les agissements de la CPI pour se dérober à la justice. Autant de raisons qui justifient que le procès d’Hissène Habré puisse être conduit à son terme. C’est un événement qui a une portée pédagogique. »
En effet, complète Le Pays au Burkina, « de la qualité du déroulé de ce procès et de l’articulation de son verdict, l’image de l’Afrique sortira renforcée ou écornée. Ce jugement doit être celui de l’exemplarité, celui que l’Histoire retiendra comme modèle pour la postérité. Sous cet angle, les juges sentent certainement tout le poids de leurs responsabilités. L’Occident ne devrait pas être le seul haut lieu des jugements impartiaux des fils d’Afrique. Le berceau de l’humanité doit montrer toute sa capacité à juger dans la dignité et l’impartialité, ses brebis égarées rendues sanguinaires et inhumaines par les vertiges du pouvoir. »
Alors, conclut Guinée Conakry Infos, « quelques cent témoins feront le déplacement à Dakar pour parler des années noires qu’ils ont connues entre 1982 et 1990, quand la répression aveugle s’abattait sur le Tchad, avec son cortège macabre de plus de 4 000 victimes. Le procès d’Hissène Habré pour servir d’exemple en Afrique, devra au cours des 60 jours qu’il durera, garder la sérénité professionnelle qui sied, et refuser impérativement de tomber dans les pièges de l’arrogance, de la provocation ou de la démagogie. La justice devra être dite pour que l’impunité ne soit plus la règle de gouvernance. »