RFI : les autorités tchadiennes assurent avoir découvert une fabrique d’explosifs, un homme s’est fait exploser au moment d’être arrêté. Boko Haram est soupçonné, mais n’a pas revendiqué. Est-ce que pour vous il n’y a pas de doute, le groupe islamiste est bien à l’origine de cela ?
Martin Ewi : Absolument. Il n’y a pas de doute que cet acte est perpétré par Boko Haram. Dans la région, il n’y a aucun groupe qui a ces capacités d’avoir des engins de fabrication d’explosifs que Boko Haram.
Comment est-ce que Boko Haram a pu s’implanter au Tchad et notamment jusque dans Ndjamena, la capitale ?
Boko Haram est dans tous les pays voisins du Nigeria. Cette région est une région très instable. Il y a beaucoup de quartiers, beaucoup de villages où Boko Haram peut s’implanter, c’est des régions où Boko Haram peut s’implanter très facilement. Sans les locaux, je ne pense pas que Boko Haram puisse s’implanter dans une région à l’étranger. Boko Haram a des locaux dans tous les pays du voisinage du Nigeria. On a vu ça d’ailleurs au Cameroun. Boko Haram était au Cameroun depuis 2009, mais personne ne le savait. Je pense que c’est la même chose au Tchad, parce que ces pays n’ont pas fait l’effort d’avoir des renseignements sur ce groupe. Parce qu’avant on pensait que c’était un problème nigérian, alors que Boko Haram, c’est un problème régional. Boko Haram connaît mieux le nord du Cameroun que le gouvernement camerounais. Je pense que Boko Haram connaît mieux le sud du Tchad que le gouvernement tchadien.
Justement, les kamikazes de la mi-juin seraient originaires de la région du lac Tchad. Est-ce que cela vous étonne ?
Cela ne m’étonne pas du tout parce que maintenant Boko Haram commence à utiliser tout ce qu’il a pour lutter contre les forces multinationales. Parce que Boko Haram maintenant doit choisir de façon stratégique quels sont les éléments plus efficaces pour une attaque dans tel endroit. Donc si c’est les Tchadiens qui peuvent mieux attaquer au Tchad, je pense que Boko Haram va utiliser des éléments tchadiens.
Est-ce que ça veut dire que ce genre d’événement risque encore de se répéter au Tchad ?
Le problème du Tchad vient juste de commencer parce que Boko Haram est encore là. On ne peut pas oublier que le Tchad est impliqué. Le Tchad se présente comme la force efficace pour la lutte contre Boko Haram. Donc pour Boko Haram, le Tchad c’est le premier à combattre. Avant que le gouvernement tchadien déclare la guerre contre Boko Haram, il n’y avait pas d’attaque au Tchad, parce que Boko Haram voulait se concentrer au Nigeria. C’est quelque chose qu’on a aussi vu avec le Cameroun et c’est la même situation au Niger. Donc je pense que le groupe veut gagner la bataille de sécurité avec le nouveau président du Nigeria, Buhari. Le groupe veut aussi saboter l’idée de la force multinationale et décourager la satisfaction des pays voisins. Parce que le groupe veut concentrer sa guerre avec le Nigeria. C’est avec des opérations comme ça que les pays peuvent avoir peur. C’est une guerre de terreur, une guerre d’intimidation. Boko Haram a attaqué la base de police, c’était juste pour montrer que le groupe est capable de tout. Cette région du lac Tchad c’est une région très instable. Il y a trop de crimes dans cette région. Boko Haram a seulement pris avantage d’une situation qui existait ; trafic de drogue, trafic d’armes, on parle de trafic d’êtres humains. C’est une région aussi très pauvre. Les paysans vont utiliser tous les moyens pour survivre. Donc si Boko Haram présente un moyen de vivre, pourquoi pas ?
Il y a une responsabilité des Etats de la région d’avoir laissé le crime monter dans cette zone du lac Tchad ?
Absolument. Ils avaient créé la Commission du bassin du Lac Tchad pour ça, mais comme la Commission n’a jamais été efficace, la situation est devenue encore pire. Parce que quand Boko Haram s’est regroupé, après les évènements de 2009 [mort de Mohamed Yusuf fondateur de la secte islamiste, NDLR], ils ont emmené des éléments de tous les pays de la région. Il y avait des Camerounais, des Tchadiens et des Nigériens. C’était vraiment une force régionale, des éléments qui connaissaient bien ces régions.
Ndjamena a fait appel au FBI pour examiner des preuves. Est-ce que selon vous la police et les renseignements tchadiens ont les moyens de faire face à ce genre de terrorisme ?
Je ne pense pas. Il faut beaucoup renforcer les services de renseignements au Tchad. On parle d’une région qui est tellement vaste que pour moi, ça doit être une force de tous les pays de la région. Et ce qui me gêne un peu c’est que le Nigeria a pris le commandement et maintenant il faut un commandement qui change entre les pays. Sinon les autres pays vont penser que ça, c’est une faute des Nigérians. Et puis le Nigeria veut seulement utiliser les autres pays. Si les autres pays sont un peu réticents, ça va affecter l’efficacité de ses forces.
En réaction, le Tchad a pris certaines mesures ; interdiction de la burqa, renouvellement obligatoire des documents d’identité, contrôle accru de la circulation, de la population... Est-ce que vous craignez des débordements des forces de sécurité ?
Ce sont des mesures extrêmes qui empêchent le droit des humains. Maintenant, on va énerver beaucoup de gens qui peuvent, si Boko Haram le veut, être recrutés. Donc il faut penser aussi aux mesures de la justice criminelle. On ne peut pas toujours dépendre des mesures militaires, parce que ce n’est pas efficace. Il faut créer un tribunal qui peut enquêter, qui peut juger les suspects. C’est aussi une source de renseignements pour prévenir les actes de Boko Haram.