A la Une: l’arrestation du chef des renseignements rwandais

Coup de froid entre Kigali et Londres après l’arrestation samedi dernier, on ne l’a apprise qu’avant-hier, du général Emmanuel Karenzi Karaké, patron des services secrets rwandais. Ce proche du président Kagamé a été appréhendé en vertu d’un mandat européen émis par l’Espagne en 2008. Quarante militaires au total sont visés par ce mandat d’arrêt. Les chefs d’inculpation vont d’assassinats de personnalités politiques au Rwanda à ceux de 9 Espagnols dont 3 humanitaires en passant par des exécutions de réfugiés en RD-Congo. Des faits qui auraient eu lieu entre 1994 et 2002.

Les autorités rwandaises s’insurgent… Tout comme le principal quotidien du pays, The New Times : « le général Karaké s’est déjà rendu à Londres à plusieurs reprises sans aucun problème, écrit-il. Et on l’empêche de prendre son avion samedi dernier, en raison d’un acte d’accusation délivré par un juge espagnol. Et on peut s’interroger, s’exclame le quotidien rwandais : pourquoi avoir ressorti ce mandat qui date de 2008 et qui est à la fois vicié et politisé ? »

En effet, d’après The New Times, « le juge espagnol, qui a inculpé au total 40 anciens et actuels responsables gouvernementaux rwandais pour crimes de guerre présumés et génocide, a été parrainé par des ONG qui ont des liens étroits avec les FDLR, ce groupe terroriste qui comprend des éléments responsables du génocide de 1994. » Ce juge espagnol aurait même reçu des fonds de la part de ces mêmes ONG, affirme en outre le quotidien rwandais.

Justice à deux vitesses ?

A contrario, le quotidien Le Pays, au Burkina, se réjouit de cette arrestation : « l’on ne peut que se féliciter d’une telle action de la Justice européenne pour situer les responsabilités afin d’éviter toute impunité […]. Même si tout porte à croire que c’est surtout en raison de l’assassinat de ses ressortissants que l’Espagne garde une rancune tenace contre le prévenu de Kigali. » Et « cette action de la police britannique, poursuit Le Pays, vient une fois de plus confirmer que l’Europe n’est pas l’Afrique et que Londres n’est pas Pretoria où le président soudanais, Omar el-Béchir, a récemment bénéficié de la complicité des autorités sud-africaines qui ont refusé de l’arrêter pour le remettre à la Cour pénale internationale. »

Le quotidien Aujourd’hui, toujours à Ouaga, est plus réservé : « pour l’instant, la seule certitude, c’est qu’il y a de la friture sur les lignes téléphoniques entre Kigali, Londres et Paris. Ça grésille entre Urugwiro village, la présidence rwandaise et le 10 Downing Street à Londres. En outre, il est évident que Kagamé ne lâchera pas la chose, et en fera une affaire personnelle. Quoiqu’il en soit, conclut Aujourd’hui, l’affaire Karaké vient encore relancer la sempiternelle polémique de cette justice internationale dont les principaux clients ont toujours eu la peau noire, et qui plus est, sont souvent arrêtés sur la terre des Blancs. »

Séisme politico-moral ?

Et pour le site d’information Guinée Conakry Infos, la réaction très vive des proches de Kagamé s’inscrit dans le même élan : « aux yeux des autorités rwandaises, le mandat d’arrêt délivré par la justice espagnole est illégal, cela ressemble plutôt à de la justice à géométrie variable quand il s’agit des Africains. Si Kagamé se garde encore de se prononcer, ses proches collaborateurs le font à sa place, et cette véhémence montre bien que Karenzi Karaké constitue une grosse prise. En aucun cas, le pouvoir rwandais ne souhaite que “son” homme soit livré à la justice espagnole. Un homme qui en sait certainement beaucoup… En réalité, relève encore Guinée Conakry Infos, depuis le génocide, la fébrilité des chefs du FPR quant à une quelconque responsabilité de leur part, est connue. L’arrestation de Karenzi est ressentie comme un séisme politico-moral, une espèce de “trahison” de la ligne occidentale qui, sans être complice, avait une empathie qui appelait à une certaine tolérance. »

Et le site Fasozine au Burkina de conclure : « le moins que l’on puisse dire c’est qu’il s’agit là d’un crime de lèse-Kagamé qui ne tardera pas à brouiller les relations diplomatiques entre Kigali et Londres, si ce n’est déjà fait. En tout cas, les lieutenants du président rwandais n’ont pas manqué de dire tout le mal, donc, qu’ils pensaient de cet acte de défiance occidental solidairement perpétré. Jusqu’où iront les autorités rwandaises ? Les prochains jours nous le diront. »

 

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