RFI : Quels sont vos principaux constats, à l’issue de votre mission ?
Jean-Louis de Brouwer : Aujourd’hui, la situation humanitaire est stabilisée mais elle est extrêmement fragile. Les frontières du Burundi continuent à être franchies et rien ne donne à penser que ce flux va diminuer dans les prochaines semaines. Aussi, nous devons faire absolument de notre mieux pour, d’abord assurer les conditions d’accueil qui soient dignes des centres et ensuite préparer nos partenaires ainsi que les pays voisins à une situation qui n’ira pas en s’améliorant dans le court terme.
Justement, les législatives au Burundi sont prévues le 29 juin et il y a surtout la présidentielle le 15 juillet. Est-ce que vous craignez une nouvelle explosion de l’afflux de réfugiés ?
Le risque est clair. Il suffirait d’un incident pour qu’automatiquement des troubles civils ne reprennent et ne se traduisent par de nouveaux déplacements vers l’extérieur.
Quelles sont vos prévisions ?
Le HCR [Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés] pour le Rwanda travaille sur une prévision de 100 000 réfugiés, au début de l’automne. A l’heure actuelle, ils sont à 30, 35 000.
Du côté de la Tanzanie, nous sommes déjà à 60 000 en quatre semaines et on peut certainement parler de 100 à 120 000. Nous devons toujours travailler sur le scénario du pire, en espérant qu’il ne se produise pas. Personne ne peut prédire ce qui se passera aujourd’hui ou demain. On note une très nette détérioration de la situation économique du pays, ce qui est, d’ailleurs, tout à fait typique.
Je reviens à la situation des réfugiés en Tanzanie. Une partie d’entre eux était déjà en Tanzanie il y a quelques années ; ils ont été rapatriés au Burundi, il y a de cela deux ans. Ils ont manifestement raté leur réintégration aussi parce que les opportunités économiques de se réintégrer dans leur pays d’origine ne leur ont pas été offertes.
Quelles sont les conditions d’accueil à présent ? Est-ce que les différents pays et les humanitaires, sur place, arrivent à faire face ?
Le Rwanda et la Tanzanie doivent être félicités et remerciés. Compte tenu de l’Histoire, ce n’est pas toujours évident pour eux. De plus, il y a quelques années de cela, la Tanzanie pensait avoir refermé le chapitre « réfugiés », notamment en offrant une naturalisation massive. Et voilà maintenant l’Histoire qui revient. Ils doivent, par conséquent, être soutenus et encouragés et leurs mérites doivent être reconnus en la matière. Le dispositif des Nations unies, les grandes organisations non gouvernementales… Les dispositifs se mettent en place et il faut maintenant que des équipes humanitaires reviennent.
Il faut qu’on renforce la capacité humanitaire. C’est en train de se faire. Des campagnes de vaccination vont commencer, ce week-end, et il faudra être extrêmement attentif à en faire bénéficier non seulement la population des réfugiés dans les camps, mais aussi les communautés voisines d’accueil.
Le problème, en tout cas, en Tanzanie aujourd’hui, c’est le problème de la confection d’espaces. Il faut que, d’urgence, d’autres emplacements soient trouvés. Ces derniers jours, on enregistrait à la frontière entre le Burundi et la Tanzanie ainsi qu’en plusieurs points de cette frontière, des franchissements de l’ordre de 500 à 700 ou même 800 personnes par jour. Ce n’est pas rien. Et je vous dis : au Burundi, il y a cette conscience de plus en plus claire de la détérioration de la situation économique qui implique une situation humanitaire à terme et à laquelle ils doivent se préparer en termes de détérioration de services de santé, voire même de problèmes nutritionnels aggravés dans le nord du pays.
Les réfugiés eux-mêmes, sur les récits, sur leur histoire. Pour quelles raisons sont-ils partis en exil ? De quoi ont-ils peur ? De qui ont-ils peur ?
Ils ont clairement peur de rétorsions des milices gouvernementales au Burundi. Est-ce que cette peur est fondée ou alimentée par des rumeurs et par, encore une fois, les traces dans la mémoire collective de ce qui s’est passé il y a dix ou vingt ans ? Il faut essayer de faire la part des choses mais personne n’a une vision très claire de l’intensité de la menace, pour l’instant. En tout cas, elle est ressentie avec suffisamment de force pour pousser les gens à fuir une persécution qu’ils craignent et nul ne peut nier que ces gens ont des craintes fondées, pour l’instant.
Qu’allez-vous demander concrètement comme aide européenne sur ces réfugiés burundais ?
Nous avons rencontré les Etats membres dans les trois capitales que nous avons visitées. Chacun cherche de son côté à dégager des fonds complémentaires. D’autres bailleurs de fonds le font également. Je pense aux Etats-Unis et au Canada. Il y aura donc un effort de la communauté internationale en la matière. Cependant, nous avons affaire à des situations humanitaires sans précédent dans le monde aujourd’hui : la Syrie, l’Irak, le Yémen, la Libye, le Soudan du Sud, la République centrafricaine. Nous devons donc dégager des moyens dans un espace humanitaire qui est déjà soumis à de très fortes contraintes.
Jeudi 11 juin, le pouvoir burundais a déclaré que c’était la fin de la contestation. Qu’en pensez-vous ?
Les gens ont peur. Probablement ne se sentent-ils pas suffisamment soutenus pour continuer à élever la voix ? Je ne pense pas, à ce stade, qu’on ait quelques indications de la réouverture des radios alternatives. Par conséquent, le discours auquel nous sommes confrontés est un discours un peu monolithique.
Certains craignent une ethnicisation du conflit au Burundi. Partagez-vous cette crainte ?
Le risque est réel. Tout le monde est extrêmement prudent et conscient du fait qu’on ouvrirait-là une boîte de Pandore qui nous confronterait au pire. Jusqu’à présent, chacun semble vouloir raison garder, mais les barrières sont fragiles.