RFI : Edem Kodjo, vous étiez sur place à Bujumbura pendant la crise de ces derniers jours. Est-ce que la situation est à présent toujours risquée, qu’espérez-vous voir arriver comme décision des autorités de nouveau en place ?
Edem Kodjo : La situation est toujours risquée dans la mesure où les manifestations ont repris. Donc nous attendons que les décisions soient prises de façon à détendre l’atmosphère et à assurer la sécurité pour tous. Nous estimons par exemple que ceux qui ont été arrêtés après le coup d’Etat puissent être traités avec une totale humanité, que les droits de l’homme soient préservés et sauvegardés. Nous estimons que c’est un énorme chantier que nous avons devant nous et nous allons faire le maximum pour pouvoir essayer de trouver des solutions, ce n’est pas simple.
Avez-vous pu parler au président burundais ?
Oui, avec mon collègue monsieur Ibrahima Fall, nous avons rencontré le président burundais et nous lui avons fait part d’un certain nombre de choses avant même que le coup d’Etat n’éclate. Nous avons attiré son attention sur la nécessité de pacifier l’atmosphère, de faire en sorte qu’un certain nombre de préoccupations des uns et des autres se manifeste et se résolve. Et nous estimions à l’époque que ceux sur qui planaient des mandats d’arrêt, ces mandats d’arrêt devaient être levés. Nous estimions qu’il fallait que les prisonniers politiques, et pas seulement les mineurs, soient libérés et nous avons également pensé qu’il fallait à tout prix nouer un dialogue interne, tout en libérant les médias. Les médias représentant quelque chose de fondamental, surtout en période électorale. Tous ces messages, nous les avons passés clairement au chef de l’Etat, mais le problème aujourd’hui demeure. Dès le lendemain de la tentative de coup d’Etat, les manifestations continuent sur la base du troisième mandat qui est au cœur du débat.
Est-ce que vous considérez que le président Nkurunziza est toujours pleinement légitime malgré ces derniers évènements ?
La légitimité du président Nkurunziza ne dépend pas des derniers événements. C’est un président qui a été élu et dont le mandat vient à expiration au mois d’août, donc il est toujours légitime.
Vous avez mentionné les manifestations qui continuent. Une grande partie des Burundais dans la capitale souhaitent que le président revienne sur son désir de se présenter pour un troisième mandat. Est-ce que c’est le rôle de la médiation de l’Union africaine d’encourager le président à prendre une décision dans ce sens ou dans un autre ?
Toute la communauté internationale, sans exception, a condamné le coup d’Etat. La doctrine de l’Union africaine, c’est tolérance zéro pour les coups d’Etat et les coups de force. Et c’est cela qui a été adopté par presque toutes les personnalités importantes du monde qui ont pris la parole, à commencer par le président Obama, le secrétaire général des Nations unies, d’autres chefs d’Etat de la sous-région et la présidente de la Commission de l’Union africaine elle-même, ça, c’est clair. De la même manière, il y a une totale unanimité sur la nécessité de report des élections et ça c’est un point important puisqu’il figure dans le dossier que nous allons devoir travailler avec les autorités burundaises. Nous allons insister là-dessus parce qu’il apparaît clairement qu’il est difficile dans ces conditions d’organiser les élections.
Les Etats-Unis viennent de précise que, selon eux, un troisième mandat du président burundais représente une source d’attisements de l’instabilité. C’est le département d’Etat qui s’est exprimé ?
On le savait. Les Etats-Unis ont dit cela depuis très longtemps déjà. Ils ne font que confirmer une position qui était claire pour ce qui les concerne.
Est-ce que l’Union africaine pense aller dans ce sens pour le bien de la stabilité dans la région ?
L’Union africaine fera tout ce qu’elle pourra pour faire en sorte que toute décision qui sera prise ici soit une décision qui favorise la paix et la sécurité et qui tienne compte aussi de ces Accords d’Arusha. Les chefs d’Etat réunis récemment à Dar es Salaam ont dit à peu près la même chose. Et les Nations unies disent à peu près la même chose. Et donc l’Union africaine ira dans ce sens. Nul ne peut savoir aujourd’hui quelle est la portée réelle de la solution qui sera trouvée. On ne la connait pas encore cette solution. Mais il faut la trouver en tenant compte des préoccupations qu’expriment les populations, en tenant compte des textes législatifs, constitutionnels qui régissent le pays et en tenant compte également de l' Accord d’Arusha [qui a mis un terme à dix années de guerre civile qui avaient causé la mort de 300 000 morts.]
Enfin, la situation sécuritaire est ce qui semble préoccuper les principales instances sur place et dans les pays voisins et dans les institutions régionales.
Ça préoccupe d’abord les différentes personnalités, les leaders de certains partis politiques, les gens de la société, certains leaders de la société civile. Et on comprend que certains leaders en appellent à l’Union africaine et à d’autres organisations pour qu’on intervienne de manière à ce que la sécurité soit assurée à tous.