RFI : François Hollande décide de déclassifier tous les documents français concernant le Rwanda entre 90 et 95. Votre réaction ?
Patricia Adam : C’est une excellente nouvelle. D’abord pour le peuple rwandais, je pense, qui a le droit de savoir, c’est une très bonne chose. Il y avait eu un rapport parlementaire qui avait été fait il y a quelques années sur le sujet. Ca va nous permettre de vérifier si ce rapport parlementaire était conforme, en tout cas, à ce que nous avions dans nos archives. Ca permettra aussi aux historiens, je pense, c’est à eux de le faire, et pas aux politiques de le faire, aux historiens de pouvoir faire ce travail de mémoire et c’est une très bonne chose. Pour le peuple rwandais, ce devoir de mémoire est également important.
Quand vous parlez du rapport parlementaire, c’est à l’issue de la mission Paul Quilès de 1998 ?
Absolument. C’était celui-là et nous avions, il y a un an et demi, deux ans, auditionné Hubert Vedrine aussi, sur le sujet au sein de la commission de la défense, puisque l’armée française avait été mise en cause par certaines personnes. Je pense qu’après la décision qui est celle du président de la République, j’espère que d’autres pays feront la même chose, en particulier les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
Alors ce geste de François Hollande est tombé hier, au 21e anniversaire du jour du déclenchement du génocide, ce n’est pas une coïncidence ?
Bien sûr, ce n’est pas une coïncidence. Tout d’abord, la France a été mise en cause, et en particulier le ministère de la Défense et les militaires présents à l’époque. La France a eu à l’époque véritablement, contrairement à d’autres, la volonté d’intervenir très vite pour limiter au maximum ce génocide qui, malheureusement, a eu lieu. C’est près d’un million de personnes tuées qui l’ont été, dans le cadre de ce génocide. Ca n’a pas été facile à l’époque pour nos militaires. Et, je pense, que la volonté qui est celle du président de la République de faire toute la lumière, il l’a donné à ceux qui pourront y travailler. C’est la meilleure réponse qui pouvait être donnée aujourd’hui par la République.
Il y a un an, les rapports étaient très mauvais, on se souvient de cette interview du président Kagamé à Jeune Afrique, « Les soldats français ont participé à l’exécution même du génocide ». Du coup l’annulation de la visite de la garde des Sceaux française, une quasi-rupture des relations. Est-ce qu’aujourd’hui ce geste peut être considéré comme un signal venant de Paris ?
Bien sûr, c’est un signal, c’est d’ailleurs à cette intention qu’on avait également auditionné Hubert Védrine qui était à l’époque auprès du président de la République et qui était venu s’exprimer sur les faits. C’est un signal fort, sur un continent particulièrement touché aujourd’hui par le terrorisme. La France le fait, c’est une très bonne chose, mais j’espère que d’autres pays le feront également.
Il reste des zones d’ombre sur le rôle de la France en 1994 avant, pendant et après le génocide. De ce point de vue, les dernières archives, les derniers documents qui étaient classifiés, quelles sont les zones d’ombre que ces documents pourront éclairés aujourd’hui ?
Je ne peux pas répondre à cette question parce que je ne connais pas ces documents. Laissons les historiens travailler et puis, si nécessaire, à ce moment-là lorsqu’ils auront réalisé ce travail, on pourra bien sûr les auditionner sur ce sujet. Il y a quelques spécialistes de cette zone donc je pense qu’ils ont hâte de pouvoir reprendre tous ces documents.
Vous savez que l’armée française a été critiquée pour son rôle avant le génocide lors de l’opération Noroît et à la fin du génocide lors de l’opération Turquoise. Est-ce qu’aujourd’hui la France est prête à affronter toute la vérité à travers la déclassification de ses documents ?
Oui bien sûr, il faut le faire et ce sera fait.
Comme un certain nombre d’historiens et de chercheurs le demandent, est-ce que vous seriez d’accord pour qu’après la mission parlementaire Quilès de 98, il y ait une vraie commission d’enquête parlementaire, avec cette fois-ci l’obligation par tous les témoins d’être auditionnés par vous, si vous le désirez ?
Je ne suis pas sûre que ce soit au niveau politique de le faire, parce que les historiens nous révèlent un certain nombre de faits qui peuvent effectivement mettre en cause le ministère de la Défense, en l’occurrence, et dans ce cas là, bien évidemment, nous pourrions peut-être l’examiner. Laissons les historiens traiter la question du Rwanda. C’est leur métier, c’est leur expertise, ce n’est pas celle de l’Assemblée nationale.
C'est-à-dire ce qui a été fait, mardi, peut être une première étape vers une commission d’enquête en bonne et due forme ?
Je ne sais pas ce que vont révéler les documents qui vont être mis à la disposition des historiens. Attendons ce travail des historiens, mais laissons d’abord les historiens travailler sur ces questions.
L’an dernier, vous nous disiez que l’armée française hésitait à déclassifier ces derniers documents à cause du fait qu’un certain nombre de noms propres, de noms de personnes vivantes, étaient toujours cités. Est-ce qu’aujourd’hui cet obstacle est levé ?
Je suppose que oui. J’imagine que cela a été vérifié par la présidence de la République. C’est une protection que l’on doit aux hommes et aux femmes qui servent la République.