L’on n’en finit plus de se féliciter de l’alternance survenue au Nigeria, et avec la manière, puisque le sortant, sans attendre que la Commission électorale communique les résultats définitifs, a félicité le vainqueur. Aucune protestation, pas un seul mort. Cela ne vous rappelle-t-ilpas le Sénégal, en mars 2012 ?
C’est exact. Si l’Afrique, souvent, déçoit en s’illustrant comme le continent du pire, elle sait aussi se révéler le continent du meilleur, et souvent au moment où l’on s’y attend le moins. Après le Burkina, avec son insurrection populaire, il y a six mois, voici donc qu’un autre pays de cette Afrique de l’Ouest nous surprend, d’une manière qui, selon l’expression du professeur Albert Tévoédjrè, conforte « nos certitudes d’espérance ». Si les peuples de ce continent pouvaient nous offrir tous les six mois un Burkina, un Nigeria ou un Sénégal, alors oui, il n’y a aucune raison de désespérer de l’Afrique.
Cela ne dispense pas d’être exigeant vis-à-vis de ce continent, et il faut l’être d’autant plus que l’Afrique n’est pas seule au monde. Elle commerce avec des peuples qui ont déjà atteint un certain niveau, et elle ne peut se permettre de concourir dans ce monde avec une gouvernance digne du Moyen-âge.
Mais il y a aussi des reculs, dans des pays que l’on croyait sur la rampe et qui, à la faveur d’un coup d’Etat, doivent repartir de zéro…
Il y a des reculs, et même des pays qui sont figés dans la non-démocratie. C’est pour cela qu’il faut des organisations sous-régionales et une Union africaine suffisamment fortes, pour obliger les gouvernants à s’élever vers des standards communs, en respectant les textes et les institutions qui régissent leurs Etats.
Ce que nous dit le Nigeria, c’est que les peuples savent sanctionner les dirigeants qui ne les respectent pas. Goodluck Jonathan a montré une certaine désinvolture dans la gestion de son pays, alors que son peuple était en souffrance, et il le paie dans les urnes.
Ce que nous dit le Nigeria, c’est aussi qu’avec des dirigeants honnêtes – comme Goodluck Jonathan – qui respectent le vote des citoyens, il y aura de plus en plus d’alternances, et l’on atteindra rapidement la masse critique démocratique, qui fera que plus aucun apprenti dictateur ne s’avisera de confisquer le pouvoir où que ce soit sur ce continent.
Ce que nous dit enfin le Nigeria, c’est que ceux qui veulent servir leur patrie n’ont pas besoin de passer une éternité aux affaires. Dans le cas spécifique du Nigeria, comme du Ghana, le système est calqué sur celui des Etats-Unis, avec un mandat présidentiel de quatre ans, renouvelable une seule fois. Ce que vous ne pouvez pas prouver en huit ans, trente-six ans ne vous suffiront pas pour le prouver. C’est un message pour tous ceux qui, après dix ans, disent qu’ils n’en ont pas suffisamment eu, et rusent pour confisquer le pouvoir, y compris au risque de mettre leur pays à feu et à sang.
Enfin, parce que le Nigeria est un grand pays, cette alternance pacifique devrait servir de leçon pour beaucoup, sur le continent, pour tous, en Afrique.
Il n’empêche, le président Muhammadu Buhari est lui-même un ancien putschiste. Faut-il s’en inquiéter ?
Il n’y a pas lieu. L’on a vu, au Bénin voisin du Nigeria, un ancien putschiste, Mathieu Kérékou, revenir au pouvoir à la faveur de la démocratie, et il n’a rien pu contre la démocratie. Conquérir le pouvoir de manière démocratique a une saveur délicieuse. Tous les chefs d’Etat de la planète appellent Buhari pour le féliciter et lui proposer de travailler avec lui. Le putschiste est généralement un homme seul, isolé, qui a même honte du larcin qu’il vient de commettre.
Par ailleurs, toute analyse sur le passé putschiste de Buhari serait incomplète, si elle ne prenait en compte le contexte de l’époque. Buhari a renversé Shehu Shagari, un président élu démocratiquement, certes, mais qui venait de se faire réélire par la fraude, et son gouvernement baignait dans la corruption. Pire, il avait déshonoré la patrie, en expulsant massivement deux millions de ressortissants africains, notamment des Ghanéens. Pour le Nigeria, chantre du panafricanisme, expulser des Africains équivalait à une infamie.
Enfin, Buhari le putschiste avait dans la sous-région, un modèle qui, au bout de sa logique, a donné le pays le plus présentable, aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, tant du point de vue démocratique que du développement économique. C’est le Ghana de Jerry John Rawlings. Qui avait, lui aussi, mis fin à un régime élu démocratiquement, mais corrompu au-delà du supportable.
Aujourd’hui au Ghana, l’Histoire a oublié la dureté du régime de Rawlings, parce qu’il a réussi à assainir l’économie et fini par mettre en place les bases d’une démocratie, que tous donnent en exemple.