RFI : Comment allez-vous, au 16e mois de votre libération ? Dans quelle phase de réadaptation vous situez-vous en ce moment ?
Francis Collomp : Je vais très bien, il n’y a qu’un petit peu de soucis au point de vue santé. Disons que le métabolisme de mon foie a changé trop vite, à cause de la perte de poids, de la reprise de poids trop rapide. Je suis en train de me régulariser. Au niveau psychologique, je m’en sors très bien, si vous voulez, je n’ai que des flashs, quand il y a eu Charlie Hebdo, quand il y a eu Copenhague. Pour moi, ce sont des flashs qui se rapprochent presque de la haine contre ces gens-là, contre les jihadistes. On revoit l’attaque, parce que quand ils m’ont capturé, c’était vraiment une attaque militaire, ils ont d’abord attaqué le poste de police, envoyé une fusée éclairante. Quand ils ont attaqué le village, ils étaient entre 10 et 15. Et puis, on garde les moments les plus émouvants, ça revient, vous ne pouvez pas l’empêcher.
Que pouvez-vous nous dire sur vos ravisseurs, sur leur connaissance des affaires du monde, sur leurs motivations, sur leur islam ?
Les gardiens que j’ai eus, on peut les comparer à des robots humains. Ils vont à l’école coranique au lieu d’aller à la maternelle. Au lieu d’apprendre l’anglais, la langue commune qui permet à différentes ethnies de se regrouper, ils apprennent l’arabe. Ils sortent de là, ils parlent couramment l’arabe et on leur inculque un Coran qui n’existe pas, ce n’est pas le Coran normal. Le Coran, ça ressemble à la Bible : « Tu ne tueras pas, tu ne feras pas ci... » Eux, c’est un Coran extrémiste à fond. Ça devient une secte. Moi, le fameux Abdul, il ne savait pas que la Terre était ronde, il ne comprenait pas les fuseaux horaires et pourquoi l’heure n’était pas la même dans chaque pays, etc.
Au début de l’intervention française au nord du Mali, le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest est chassé de Gao. Le Mujao, dites-vous, demande à Ansaru de vous exécuter. D'où tenez-vous cette information ?
Des gardiens. Ils parlent du Mujao. Vous savez, ils étaient assez vantards. Chaque fois que Boko Haram faisait une exaction, moi, j’étais au courant presque avant la radio.
Ansaru se réjouissait des exactions de Boko Haram ?
Exactement, parce que c’est une dissidence, ils ne sont pas d’accord sur certains trucs, mais ça faisait à l’époque quand même partie de Boko Haram. Si ça se trouve, ils sont retournés dans Boko Haram.
Qu’est-ce que vos gardiens vous ont dit du Mujao ?
Qu’ils voulaient ma mort ou qu’ils voulaient un échange pour essayer d’avoir de l’argent, mais heureusement Ansaru n’a pas lâché. Ansaru, au départ, toutes leurs revendications dans les cassettes, ce n’était pas de l’argent.
Dans votre livre, vous dites, il y avait eu un premier canal identifié pour des négociations et qu’une forte somme d’argent était prévue pour votre libération, donc de la part de la France ?
De la France, pas tout à fait. Chaque fois, la France dit qu’elle ne paye pas pour les otages, c’est en partie vrai puisque ce sont les sociétés qui payent. Or Vergnet avait une assurance de 13 millions d’euros, et le directeur Jérôme Douat avait même téléphoné à ma femme en disant qu’ils étaient prêts à débloquer l’assurance pour payer une grosse somme, s’il le fallait.
On se rend compte, dans votre livre à quel point la DGSE redoute une initiative de la part des forces de sécurité nigérianes pour vous libérer, la confiance n’est pas du tout là ?
Non et il n’y a pas qu’elle ! Moi aussi parce que j’ai eu plusieurs altercations avec Abdul. Il était tout le temps en train de soulever les rideaux et tout ça, alors que moi, je gardais les rideaux fermés, j’avais trop peur qu’il se fasse voir. Vous vous rendez compte, une attaque des forces nigériennes, c’est votre mort, c’est la mort garantie.
Vous avez fini par obtenir une radio chinoise, ça vous a aidé à tenir, tous les jours ?
Enormément. Quand vous êtes en captivité, si vous commencez à penser que vous allez avoir la tête à côté de vous ou qu’à tout moment vous risquez la mort, vous rentrez en dépression et puis ce n’est pas bon du tout.
Mais les nouvelles que vous écoutez sur RFI sont mauvaises, en tout cas, elles sont en votre défaveur. Il y a la tentative de libération ratée de Denis Allex en Somalie, Ansaru exécute ses otages de la Setraco, ce sont de mauvaises nouvelles pour vous, pour votre propre situation ?
Et il y en a eu d’autres de mauvaises nouvelles. Quand ils ont assassiné Gigi et son preneur de son Claude Verlon. Ca revenait à admettre que ces gens-là tuent et tuent pour un rien.
Vous vous évadez 14 jours plus tard ?
Exactement, et je pense que ça a joué. Ca a énormément joué aussi.
Le 22 juin, vous êtes détenu depuis six mois, vous entendez une voix que vous connaissez bien, c’est celle d’Anne-Marie, votre femme, vous l’entendez sur RFI le matin et le soir, je crois.
C’est prenant. J’ai versé ma petite larme, c’est normal. C’était une ouverture sur un espoir de communication que je n’avais pas. Vous n’avez aucune communication, vous êtes dans un trou à rat. Du jour au lendemain, entendre un message d’un proche, y compris de sa femme, c’est quand même plus que très important, c’est une régénération de l’espoir.