RFI : Le procès Karim a été très mouvementé ces dernières semaines, est-ce que la Cour va pouvoir juger sereinement ?
Fadel Barro : La Cour a l’obligation de juger sereinement, la Cour a l’obligation de montrer qu’elle est à la hauteur et la justice sénégalaise a aujourd’hui l’opportunité d’aller jusqu’au bout de cette affaire.
Karim Wade est jugé par une juridiction spéciale, la Cour de répression de l’enrichissement illicite, et pour son père, Abdoulaye Wade, c’est un «machin», et en tant qu’ancien ministre, Karim Wade, devrait être jugé par la Haute cour ?
Moi, je ne rentre pas dans le débat politicien, parce que ce qui est sûr c’est que Abdoulaye Wade, c’est de son fils qu’il s’agit, il peut dire tout ce qu’il veut pour décrédibiliser cette institution là mais somme toute, cela reste une Cour, une institution de notre pays acceptée par tous. De quoi il s’agit au juste ? Il s’agit d’un ancien ministre qui se trouve être le fils de l’ancien président de la République qui, aujourd’hui est accusé pour l’enrichissement illicite. Maintenant, je pense simplement qu’il faut aller au bout de cette affaire, parce que c’est les deniers publics sénégalais qu’il s’agit. C’est l’argent du contribuable sénégalais, nous on a envie de voir de quoi il s’agit justement.
Vous dites qu’il faut aller au bout de cette affaire, mais ce n’est pas facile parce qu’à la suite de nombreux incidents d’audience, Karim Wade a décidé de ne plus comparaitre, ces avocats de boycotter, il n’y aura donc pas de plaidoiries. Est-ce que Karim Wade a eu raison ou pas ?
C’est sastratégie, c’est une stratégie pour montrer à la face du monde que c’est une mascarade. Mais je pense, quoi qu’il advienne, il devrait être là. Au-delà de toutes ces accusations, lui il doit jouer la carte de la transparence, parce que s’il refuse de partir, nous, les Sénégalais «lambda» qui observons tout ça, on a l’impression qu’il a des choses à cacher. Même s'il y a de la politique là-dedans, il y a aussi le fait que tous les sénégalais se demandaient d’où et comment tous ces gens se sont enrichis d’une manière si rapide. Même Abdoulaye Wade qui est arrivé au pouvoir avec zéro franc, parce qu'en 2000, c’est ce qu’il disait, aujourd’hui ils sont tous riches comme Crésus, le Sénégalais «lambda» a envie de savoir d’où vient cette richesse !
Donc vous pensez un petit peu comme les avocats des parties civiles et de l’Etat sénégalais que Karim Wade est dans une stratégie d’évitement et de victimisation ?
Je ne suis d’aucun bord mais l’impression que j’ai, c’est qu’aujourd’hui on joue à créer une tension au niveau de l’opinion. Cette justice là, elle est ce qu’elle est mais il faut faire avec.
Mais quand Karim Wade proteste contre l’expulsion de l’un de ces avocats, il a raison ou pas ?
Je pense qu’il a le droit de protester contre l’expulsion de son avocat mais de là à boycotter tout le procès, c’est une autre affaire.
Sur le fond du dossier, Karim Wade est accusé d’avoir illégalement acquis quelque 178 millions d’euros par le biais de montages financiers complexes. Est-ce que le procès a vraiment permis d’étayer ces accusations ?
Au début l’Etat du Sénégal avait parlé de mille milliard de francs CFA, ensuite c’est descendu jusqu’à cent et quelque milliard de francs CFA. Le fond du problème c'est que, comme c’est le fils du président de la République, on ameute tout le monde. Parce que Karim Wade a les moyens d’avoir les journalistes de son côté, Karim Wade a les moyens d’avoir deux partis politiques de son côté, Karim Wade a les moyens de payer des avocats, Karim Wade a les moyens d’avoir même un ancien président à sa rescousse, parce que c’est un fils d’ancien chef d’Etat, parce que c’est « le fils de ». Et en même, les Sénégalais simples qui n’ont volé que du pain, croupissent en prison pendant des années à cause du problème des langues, des tensions. Vous avez vu les jeunes de Colobane qui ont été accusés d’avoir tué un policier en janvier 2012 quand la Cour constitutionnelle a validé la candidature d’Abdoulaye Wade ? Ces jeunes ont été jugés et condamnés à 20 ans de prison, à 20 ans de travaux forcés et tout le monde sait qu’ils ont été torturés dans les lieux de la police mais personne ne parle d’eux parce qu’ils ne sont pas des fils de président. Les Sénégalais qui ont volé que mille francs CFA, combien de directeurs généraux aujourd’hui sont inquiétés, combien de gens ont été arrêtés dans le cadre de l’enrichissement illicite ? Je pense que l’on doit aller jusqu’au bout simplement pour que demain, même ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, ne soient pas tenter de voler l’argent. Et quand est-ce que les Sénégalais vont avoir une justice pour tout le monde ? Maintenant, on peut dire ce que l’on veut de ce procès mais au moins pour nous Sénégalais, pour nous Africains, on n'en peut plus. Parce que pour la première fois, un fils de chef d’Etat qui a été aux affaires, qui a été «ministre du Ciel et de la Terre», est poursuivi et interrogé sur sa gestion, c’est de ça qu’il s’agit. Le peuple sénégalais a envie de (faire) parti de ce procès pour avoir moins d’impunité, pour avoir une justice solide au service de tout le monde.
De nombreux comptes bancaires sont visés par la procédure mais la Cour a eu du mal à prouver que Karim Wade en était le propriétaire, est-ce que le doute ne peut pas profiter à l’accusé ?
C’est sûr que la manière dont l’Etat du Sénégal a diligenté cette affaire depuis le début, peut jeter du discrédit sur la procédure, le fait que, en même temps, ils ont gardé Karim Wade en prison et que d’autres ont bénéficié de liberté provisoire. Il y a des gens aussi que l’on n’inquiète pas parce que l’on suppose que se sont des proches de l’actuel président Macky Sall. Il y a eu tout ça, il faut le dénoncer aussi de la manière la plus ferme. Le fait aussi que l’Etat du Sénégal est parti tout de suite sur mille milliard de francs CFA et s’est retrouvé avec au bout du compte cent milliard de francs CFA. Tout ça peut jeter du discrédit sur la procédure, c’est vrai. Mais le problème de fond reste le même. C’est l’argent des populations sénégalaises et c’est pour ça qu’ils ont combattu Abdoulaye Wade et non un élu du pouvoir. Macky Sall lui-même a les mains liées, il n’a pas de choix, il doit aller jusqu’au bout.
Et quand Abdoulaye Wade affirme que le dossier est vide et qu’il s’agit en réalité un procès politique pour éliminer son fils avant la future présidentielle, qu’est-ce que vous en pensez ?
Abdoulaye Wade lui-même, dit qu’un père qui ne défend pas son fils est un lâche. Abdoulaye Wade peut dire que le dossier est vide mais je pense que ce n’est pas à lui de le dire, c’est à la justice de le dire.