C'est l'Allemagne qui a ouvert la voie la première : fin janvier, Berlin décidait d'imposer aux chauffeurs étrangers transitant par son territoire d'être payés comme leurs homologues allemands, sous peine d'amendes. L’objectif en Allemagne, comme en France avec cet amendement de la loi Macron voté samedi, est de lutter contre le dumping social entretenu par les transporteurs disposant de filiales ou de sous-traitants dans les pays d'Europe de l'Est. L'un des aspects les plus concrets de cette concurrence déloyale est le cabotage.
Depuis 2009, un transporteur étranger peut effectuer 3 opérations de cabotage - c'est-à-dire de chargement et de déchargement dans les 7 jours suivant la livraison initiale de marchandises qui a justifié son entrée en France - aux conditions sociales de son pays d'origine, et une fois sur son trajet de retour. Une faille qui permet donc à des entreprises françaises de bénéficier d'un transport de leur marchandise à des coûts largement inférieurs à ceux des transporteurs français, qui évidemment ne peuvent s'aligner. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le salaire net moyen d'un routier français est de 2 595 euros contre 1 290 euros en Hongrie, 1 524 euros en Slovaquie ou 1 428 euros en Pologne.
Les routiers étrangers bientôt travailleurs détachés ?
Si l’amendement voté samedi passe le cap de la navette parlementaire, alors oui. Les routiers étrangers devront, sous peine de sanctions pour leurs employeurs, être rémunérés selon le droit français, au salaire minimum, et bénéficier de congés. C’est ce que stipule très clairement la directive européenne de 1996 qui encadre les travailleurs détachés dans un autre pays : les cotisations sociales sont dues dans le pays d'origine, mais l'employeur doit respecter les règles de rémunération et de travail du pays d'accueil. Pour les syndicats du secteur qui peinent depuis des semaines à s'entendre avec le patronat sur une augmentation de salaire, cet amendement c'est une révolution : une révolution dans la lutte contre le dumping social, une révolution dans la protection du pavillon français. Et si bien sûr ce texte ne permet pas d'éviter les fraudes, pour la CGT, le message adressé aux patrons est extrêmement fort.
Le texte - s’il est adopté en France - sera-t-il en conformité avec les règles européennes ?
C'est la question : le secteur du transport routier de marchandises n'est en effet pas concerné par la directive de 1996 sur les travailleurs détachés. Dans la foulée de la décision allemande fin janvier, la Pologne et la République tchèque ont donc saisi la Commission européenne, qui vérifie en ce moment la conformité du texte allemand avec le droit européen. Berlin, en attendant les conclusions de Bruxelles, a suspendu l'application de sa mesure. Il en sera certainement de même pour le texte français.
Mais ces deux textes en l'espace de quelques semaines, venus de deux pays ayant un poids important dans l'Union ne manqueront pas d'exercer une pression sur Bruxelles pour que la directive sur les travailleurs détachés soit étendue au transport routier. Et ces initiatives ont un autre effet, elles apportent de l'eau au moulin des Français qui souhaitent voir l'instauration d'un salaire minimum en Europe. Sur les 28 états membres, seuls, 22 ont un salaire minimum au niveau national, les 6 autres pays ont fixé un salaire minimum par branches ou négocie le montant du salaire minimum avec les partenaires sociaux. C'était le cas de l'Allemagne, jusqu’au 1er janvier dernier. Date de l'entrée en vigueur du SMIC allemand.