« Affaire Charlie Hebdo : jusqu’où ira l’escalade ? » Question formulée par L’Observateur Paalga à Ouagadougou. L’Observateur qui constate que « plus les chiffres de vente de Charlie Hebdo explosent en France, plus ça explose, au sens propre, ailleurs, notamment dans les pays de forte tradition musulmane, à l’image du Sénégal, du Mali et du Niger. Dans ce dernier pays où, de Zinder à Niamey, l’on ne se contente pas de manifestations pacifiques comme ailleurs, Dakar et Bamako, et où les heurts entre police et manifestants on fait à la date d’hier une dizaine de morts. Sans compter les lieux de cultes chrétiens mis à sac et brûlés. »
A Bamako, pas de violences donc, mais une condamnation très ferme, rapporte le quotidien Le Républicain : « la communauté musulmane du Mali dénonce une croisade contre l’islam. […] Elle dénonce avec la dernière énergie la haine viscérale du journal satirique français qui se cache derrière la liberté d’expression pour toucher sensiblement ce que plus d’un milliard d’individus gardent au plus profond dans leur cœur, le Prophète Mahomet et l’islam. »
Attention, prévient pour sa part Le Pays au Burkina, « pour légitimes qu’elles soient, ces marches ne doivent pas consacrer l’intolérance. Elles doivent rester dans les limites de la légalité et du raisonnable. C’est en cela que ce qui s’est passé au Niger, est condamnable. […] Bien entendu, pointe Le Pays, il y a des raisons de ne pas cautionner l’impertinence du journal satirique français. Il est légitime de crier sa colère quand on estime avoir été insulté dans sa foi. Et c’est pourquoi il est encore une fois nécessaire d’attirer l’attention des journalistes, où qu’ils soient, sur leur responsabilité sociale, surtout quand leurs écrits ou leurs dessins sont préjudiciables à la paix. Evidemment, une bonne partie de la planète aujourd’hui en émoi aurait aimé que Charlie Hebdo fît l’économie de caricatures de Mahomet, au nom de la paix mondiale. Mais tout cela ne donne ni le droit, ni le devoir d’attaquer d’autres communautés, de tuer les adeptes d’autres religions. »
Responsabilité conjointe
En appeler à la responsabilité des journalistes et des caricaturistes, c’est aussi l’appel du quotidien Aujourd’hui, toujours à Ouaga : « l’ironie mordante de Charlie Hebdo est sa marque de fabrique et le journal incarne la liberté d’expression et les valeurs démocratiques. Mais le journal satirique doit tirer leçon de cette désapprobation quasi-planétaire et doser ainsi son humour caustique, estime Aujourd’hui. Ce n’est pas une question de peur, ni de recul, mais de réalisme et de stratégie. Vivre d’abord et ne pas provoquer de guérillas inutiles, car après tout le journaliste, n’est jamais désincarné, il vit en société. »
Le site d’information sénégalais Seneplus complète : « les intégristes de la laïcité doivent ouvrir les yeux et commencer par le respect de la foi des croyants et de leurs institutions légitimes. Alors seulement la lutte implacable contre les extrémistes de tous bords, et notamment les jihadistes, pourra être gagnée grâce à une vaste coalition de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté. […] On ne peut combattre efficacement le terrorisme des groupes jihadistes sans prévenir les attitudes des journaux ou des organisations qui veulent faire de l’agression contre la foi et la religion des autres leur terrain d’intervention. »
Toutefois, les musulmans doivent aussi faire leur examen de conscience… C’est du moins l’opinion de Nurudine Oyewole, président du bureau exécutif national de l’Association des jeunes musulmans en Côte d’Ivoire. Auteur d’une tribune publiée par le quotidien L’Intelligent, il écrit : « le cas Boko Haram au Nigeria, l’Etat islamique en Irak et en Syrie, les talibans au Pakistan, Aqmi au Sahel le confirment bien. Il est temps que les intellectuels ou oulémas musulmans se penchent sérieusement sur la question. Cela afin de séparer le bon grain de l’ivraie et de préserver la jeunesse musulmane, surtout celle qui vit dans la précarité, de toute manipulation idéologique pouvant conduire à des radicalisations contre-productives pour eux-mêmes, pour les musulmans et la société tout entière. Les jeunes “jihadistes” interrogés sur les motifs de leurs actions, avancent tous à l’unisson l’argument de vouloir mourir en martyr afin d’entrer au paradis. »
Et Nurudine Oyewole de s’interroger : « d’où vient donc cette théorie de la célébration de la mort pour obtenir le bonheur, alors que l’islam incite à la recherche du bonheur d’abord ici-bas, puis après dans l’au-delà. »