Dr. Kindé Gazard: «Ebola révèle la faiblesse du système sanitaire africain»

Le docteur Dorothée Kindé Gazard, ministre de la Santé du Bénin, est candidate au poste de directrice régionale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l'Afrique, qui est à pourvoir le mois prochain. A quoi sert l'OMS ? Pourquoi a-t-elle attendu le mois d'août pour donner l'alerte sur le virus Ebola ? En ligne de Cotonou, la ministre répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Est-ce que l’OMS est une vieille dame endormie ?

Dorothée Kindé Gazard : Non, pas tout à fait. Je pense que l’OMS est une organisation technique qui définit les directives pour tous les systèmes sanitaires du monde entier.

Vous êtes candidate à ce poste de directrice régionale de l’OMS. Le virus Ebola a été identifié dès le mois de mars, mais il a fallu attendre le mois d’août pour que l’OMS décrète l’état d’urgence au niveau international. Est-ce qu’il n’y a pas une défaillance de la part de cette organisation ?

Je pense que ce n’est pas tout à fait ça. Il y a eu plusieurs causes qui ont fait égarer un peu le diagnostic de ce virus dans la sous-région ouest-africaine. Comme vous le savez, Ebola c’est bien l’Afrique Centrale. Ebola a les mêmes symptomatologies que la plupart de nos maladies infectieuses ; le paludisme, la fièvre typhoïde, etc..., donc pendant longtemps il y a eu un égarement dans le diagnostic. Mais je voudrais dire qu’au-delà de l’OMS, la maladie à virus Ebola ne fait que révéler la faiblesse de nos systèmes sanitaires en Afrique. Devant un système sanitaire efficace, dynamique, qui prend toutes les dispositions, je pense qu’on arrive à mieux réguler les épidémies qui surviennent. Le plus bel exemple c’est le Nigeria. Il y a eu un cas importé. Il y a eu des sujets contacts, mais rapidement le système sanitaire a su prendre en charge le cas qui est décédé finalement, mais également les sujets contacts qui ont développé la maladie.

Et est-ce que le système sanitaire béninois est aussi outillé que celui du Nigeria pour lutter contre une éventuelle importation d’Ebola ?

Nous avons un taux de couverture en infrastructures sanitaires de 88 % aujourd’hui. Nous avons élaboré un plan de contingence. Nous avons formé le personnel médical parce qu’il y a des gestes précis à faire. Vous savez que le personnel médical est le premier touché par cette épidémie. Nous nous sommes équipés en matériel d’isolement.

Donc vous pensez que vous êtes prêts ?

On est prêts. On n’est jamais tout à fait prêts, mais je suis optimiste.

Vous disiez qu’il y a beaucoup de facteurs qui ont égaré le diagnostic du virus Ebola. Mais tout de même, dès le mois de juin, c'est-à-dire deux mois avant l’OMS, Médecins sans frontières a lancé un cri d’alarme en disant que l’épidémie Ebola était hors de contrôle. Est-il normal que l’alerte soit lancée par une ONG et pas par l’OMS ?

C’est vrai, le but de l’Organisation mondiale de la santé est de garantir une bonne santé à un niveau le plus élevé possible. Mais l’OMS ces dernières années s’est surtout occupée de la définition des stratégies et des politiques, parce que plusieurs acteurs désormais sont dans la santé. Depuis, il y a plusieurs acteurs. La société civile, les associations des professionnels, vont au-devant et passent dans la mise en œuvre. Donc je comprends que Médecins sans frontières qui est une organisation de terrain, soit vraiment au-devant et au contact de cette épidémie et donc de la prise en charge de cette épidémie.

Pendant plusieurs mois les autorités politiques de Guinée, de Sierra Leone et du Liberia ont minimisé la situation dans leur propre pays. Est-ce que l’OMS a gardé le silence à l’époque pour ne pas froisser les chefs d’Etat de ces pays ?

Je ne pense pas. Il revient au pays de susciter l’aide. Je pense que c’est ce qui n’a pas été la prompte réaction des gouvernements. Mais l’OMS qui garde toujours la veillesanitaire, était présente et a fait ce qu’il fallait faire. Mais moi je pense personnellement que nous devons, dans notre organisation, aller plus au-devant des problèmes sanitaires et passer à l’acte, être dans le concret comme l’OMS dans le bon vieux temps.

Voulez-vous dire que l’OMS c’est un peu comme l’armée mexicaine, où il y a trop de généraux et pas assez de soldats ?

Je ne connais pas l’armée mexicaine. Je ne sais pas. Mais je pense que nous devons revivre l’OMS d’antan, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et être vraiment sur tous les champs de bataille contre la maladie.

Est-il normal par exemple, que le seul budget santé de la Fondation Bill Gates soit supérieur à l’ensemble du budget de l’OMS ?

Qui alimente l’OMS ? Ce sont les contribuables des pays des Etats ! Il est donc important que l’on repose le problème du financement de la santé et surtout dans nos pays. Et c’est là où nous devons innover. Ailleurs on a parlé des taxes sur les billets d’avion, nous pouvons institutionnaliser ces taxes sur les boissons, les taxes sur le tabac, les taxes sur les transferts d’argent. Et je voudrais dire également ; les ressources humaines, nous avons une disparité considérable dans la répartition des ressources humaines sur le continent. Nous formons dans toutes nos facultés de médecine du personnel médical. Mais après c’est la migration internationale. Que devons-nous faire pour fidéliser sur le continent ? Ça doit être également une priorité pour notre organisation.

Est-il vrai qu’il y a plus de médecins béninois en France qu’au Bénin ?

On le dit. Je n’ai pas les statistiques puisque la plupart de ces personnes ont la double nationalité. Nous avons essayé en 2005 de créer une organisation pour avoir la traçabilité, afin que ces personnes viennent de temps en temps au pays apporter des soins de qualité. Mais nous n’avons pas pu recenser ces personnes puisqu’elles ont la double nationalité. La France est un pays frère et ami et je pense que nous allons continuer les discussions, afin que ces personnes qui sont d’origine béninoise puissent de temps en temps rentrer au pays, offrir des soins de qualité dans un partenariat dynamique. Je pense que cela est possible.

 

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