L'auteur congolais Julien Mabiala Bissila, premier prix RFI-Théâtre

Le premier prix RFI-Théâtre a été décerné le dimanche 28 septembre à Limoges, au Festival des Francophonies, à l'auteur Congolais Julien Mabiala Bissila parmi sept finalistes. En réalité, ce prix a déjà existé à RFI, de 1968 à 1993, mais était limité au continent africain. Aujourd'hui il englobe l'Afrique, les Caraïbes, l'océan Indien et le Moyen-Orient. Le lauréat 2014 est l'invité de Muriel Maalouf.

Vous êtes le lauréat du prix RFI-Théâtre cette année 2014. Un prix qui a existé il y a plus de vingt ans maintenant. Ça vous fait quoi d’avoir ce prix ?
 
Ça me fait très plaisir parce que, quand on commence le théâtre, la première chose c’est qu’on essaie de lire les auteurs et on remarque qu’ils ont participé à ce prix. Je parle des auteurs de mon pays, par exemple Sylvain Bemba, Kaya Makélé, Sony Labou Tansi, qui ont obtenu ce prix. Comme quoi, le fait de l’avoir, pour moi  c’est un honneur.

Le Congo-Brazzaville, votre pays, a une véritable tradition théâtrale. Vous avez cité Sony Labou Tansi, le maître du théâtre congolais. Est-ce que vous vous sentez dans ce sillage, que vous êtes issu de cet héritage ?
 
Oui, personnellement, l’écriture et le parcours de Sony m’ont beaucoup influencé. Mais il est toujours présent Sony. Chez nous, quand vous arrivez, un chauffeur de taxi vous parle de Sony, vous parle d’un auteur. Il est vraiment présent.
 
Si on veut parler de votre écriture, vous avez une écriture non linéaire. Vous nous transportez d’une image à l’autre, à toute vitesse. C’est ce que l’on retient quand on lit le Chemin de fer. C’est la troisième pièce que vous avez écrite qui a été primée par le prix RFI-Théâtre. Est-ce que c’est à l’image du contexte de votre pays, de l’Afrique ?

Je me dis que c’est aussi peut-être la vie qui est comme ça. Peut-être c’est très contagieux ce fleuve qui est à côté de chez nous dans notre pays. C’est un fleuve très très fort, c’est turbulent. Mais je pense aussi que la vie n’est pas linéaire. Si tu prends une journée dans la vie : tu te réveilles, et à un moment donné ça s’accélère et à un moment donné ça se calme. Il y a tellement de choses, des images. Il y a des virgules, des points, des points d’exclamation, des points d’interrogation dans une journée. Et moi, c’est comme ça que je vis et c’est comme ça que je vois la vie, mais aussi c’est comme ça que ça roule un peu dans le pays. Ça va vite et en même temps, on a l’impression que ça ne bouge pas. C’est un pays de paradoxes.

Dans votre pièce Chemin de fer, on sent la mort très présente et aussi les conséquences de la guerre, dans un langage très cru. Vous nous transportez au sein d’un hôpital. Il s’agit d’amputations, il s’agit de viols. D’ailleurs, la guerre, ce n’est pas la première fois qu’elle vous inspire. Dans les deux autres pièces, c’est un peu pareil. Elle est toujours très présente au Congo malgré le fait que le pays est quand même plutôt stabilisé actuellement ?
 
Oui c’est vrai. Je suis devenu auteur en sortant de la guerre. Forcément, les premières choses qui me poussent à écrire, c’est ce que je venais de vivre. Et mon écriture, c’est vrai ça tournait beaucoup autour de la guerre. Jusqu’ici, cela parlait du moment après la guerre. Chemin de fer, c’est le seul texte qui parle vraiment de pendant la guerre. L’après-guerre, pour moi, ce n’est pas forcément l’absence des coups de feu. La guerre c’est vraiment tout ce qui suit même après. On est toujours en guerre. On reste en guerre parce que ces choses-là n’ont pas été expulsées. Les gens, après tous ces traumatismes, ont vécu avec. Il n’y a pas de psy au Congo. Donc les 20 ans qui vont suivre, cela va vous suivre. Il n’y a rien à faire. C’est présent même quand il n’y a pas de coups de feu. La guerre est là. Elle est dans la tête des gens. Elle est là où on a laissé des tombes, on ne connaît pas qui on a enterré là. La guerre, elle est dans l’absence des gens qu’on a perdus, qu’on ne sait pas où ont-ils été enterrés. Ta vie est foutue quand tu perds quatre gosses sans savoir où ils ont été enterrés. Même quand on dit, maintenant on est en paix. Mais cette personne qui a perdu quatre gosses sans savoir où ils ont été enterrés, elle ne le saura jamais. Sa vie est foutue.

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