Comment un délinquant ordinaire, entre guillemets, peut-il passer au jihad et ensuite au terrorisme ? Et comment contrer la menace ? La presse s’interroge ce matin sur le parcours de Mehdi Nemmouche, ce Français de 29 ans, soupçonné d’être l’auteur de l’attaque du Musée juif de Bruxelles. Et sur les mesures à prendre…
Le Courrier Picard nous livre son pedigree : « conduite sans permis, refus d’obtempérer, vol de voiture, braquage : sept condamnations ! Nemmouche n’est pas un enfant de chœur. Mais pas non plus une perle rare du terrorisme. Les habitués des tribunaux savent bien que la France est peuplée de gars comme lui… Ce n’est pas son quartier qui a façonné le djihadiste, voire l’assassin - encore présumé. C’est la prison, affirme le quotidien picard, qui a fait germer chez ce délinquant expérimenté un islam radical. »
« Il n’est pas normal, renchérit Le Journal de la Haute-Marne, que nos prisons soient devenues des lieux de prosélytisme, avec des prières collectives. Le djihadisme est d’abord un véritable lavage de cerveau qui doit être combattu là où ses serviteurs zélés le propagent sans vergogne. »
Pas si simple, soupire La Charente Libre : « la coopération des polices, le renseignement coordonné, l’espionnage des réseaux et la responsabilisation des familles peuvent endiguer le mal. Pas ses racines, tant les causes sont nombreuses, complexes et impossibles à démêler. Xénophobie et exclusion s’installent dans le quotidien. Rien ne semble pouvoir désamorcer cette folie contagieuse, pas même le monde musulman ravagé par le mal lui-même. »
Le Républicain Lorrain s’alarme : « la Syrie se transforme à toute vitesse en université du terrorisme à l’usage des jeunes banlieusards ayant raté leur intégration au pays de la Déclaration des droits de l’homme qui, à vrai dire, ne s’est jamais vraiment préoccupé de leur sort. Il va maintenant le payer au prix fort. Que l’on ne se fasse pas d’illusions, avertit le quotidien lorrain. Nous vivons dans le calme mais cela risque d’être terrible dans des délais très proches. Il y a un an, moins de cent compatriotes s’initiaient aux joies du djihad en Syrie. En décembre, ils étaient le double. Et au printemps, on en dénombrait trois cents ! On est en droit de s’interroger sur la sécurité à venir du pays. »
« La France est devenue un vivier de djihadistes, renchérit L’Alsace. L’arrestation de Bruxelles confirme les pires inquiétudes des pouvoirs publics. Mehdi Nemmouche s’inscrit dans la lignée des Mehra et autres Kelkal, confirmant que le fanatisme est une menace pour notre société. »
Attention, prévient L’Est Républicain, « il y aura d’autres Mohamed Merah, d’autres Mehdi Nemmouche. La difficile traque de ces 'fous de dieu' demandera des moyens importants et ne saurait se résumer à la vigilance (au coup de chance) d’un contrôle inopiné. »
Quelles solutions ?
Alors que faire ? Le Figaro veut plus de coopération entre pays européens et plus de fermeté… « On ne peut attendre un nouveau drame avant de réagir, affirme le journal. C’est l’affaire de la France. Mais aussi de l’Union européenne, dont la coopération connaît des failles. La surveillance des réseaux Internet doit être plus serrée, à l’instar de la méthode utilisée contre les pédophiles, et les visas rétablis avec certains pays voisins des zones de conflit. Sitôt repérés, avant ou après leur séjour en Orient ou en Afrique, ces individus dangereux doivent être la cible de contrôles policier et judiciaire étroits, privés de passeport, assignés à résidence ou expulsés quand ils sont de nationalité étrangère. Certains diront, relève Le Figaro, que ce régime est attentatoire aux libertés publiques. Mais la sécurité des innocents n’est-elle pas la première des libertés ? Quand des fanatiques ne pensent qu’à nous anéantir pour ce que nous sommes - des Occidentaux -, nécessité fait loi. »
Pour Le Parisien, il faut renforcer l’arsenal juridique : « des spécialistes de la question, dont le juge antiterroriste Trévidic, prônent aujourd’hui la création d’outils judiciaires 'de neutralisation précoce', relève le journal, et notamment 'd’un délit-obstacle d’interdiction de combattre à l’étranger sans autorisation'. Les dispositifs législatifs ne peuvent sans doute pas tout régler, mais il y a des failles dans notre droit qu’il serait bon de combler. »
La Croix s’interroge : « ils sont quelques centaines à s’être formés au 'djihad'. Comment les contrôler, pour empêcher leurs actions et pas seulement les arrêter une fois le crime commis ? Tel est le talon d’Achille des démocraties qui ne veulent pas être des États policiers. Pour combler au maximum les failles, il leur faut donc agir sur tous les leviers de la prévention, estime La Croix : agir pour que la prison ne soit pas un foyer de radicalisation, surveiller les médias et les réseaux sociaux qui diffusent des propagandes islamistes, éduquer les jeunes au respect des autres, sans éluder l’enseignement des religions et, enfin, exiger des autorités musulmanes de France qu’elles participent activement à ce devoir de prévention et d’éducation. »
En tout cas, attention, prévient Libération : « le cas de Mehdi Nemmouche va bien évidemment accroître la surveillance par les polices et services de ces jeunes extrémistes de retour du jihad. Faut-il pour autant contrôler des populations entières et créer des délits spécifiques qui viseraient ceux qui rejoignent les islamistes ? La lutte contre le terrorisme est impérative, mais, estime Libération, elle ne doit pas légitimer un arsenal extrajudiciaire contraire aux règles et valeurs des Etats de droit. »
Un troc risqué ?
Dans les journaux également le retour au pays pour Bowe Bergdahl, ce soldat américain resté 5 ans aux mains des talibans… Avec là aussi, beaucoup de questions. « Déployé en janvier 2009 en Afghanistan après s’être porté volontaire, il avait disparu le 30 juin de la même année, sur la base où il était cantonné, dans la province de Paktika, dans des circonstances qui restent mystérieuses, relève Le Figaro. Ce jeune homme idéaliste de 23 ans, qui depuis quelque temps confiait son immense déception dans ses lettres, avait-il quitté son poste et déserté, comme certains de ses compagnons d’armes le soupçonneraient ensuite ? Avait-il été capturé alors qu’il était dans les latrines de la base, selon une autre version ? Pendant cinq longues années, ses parents durent s’accrocher à l’espoir de quelques vidéos envoyées par les talibans, révélant que leur fils était vivant. »
Bowe Bergdahl a été libéré contre la libération de 5 dirigeants talibans emprisonnés à Guantanamo… Là aussi question… « Vu le profil des prisonniers libérés, relève Le Figaro, tous des ex-officiels haut placés de l’ancien gouvernement taliban ou des commandants de haut rang, la méthode suscite la polémique. »
En effet, « Obama troque avec les talibans », titre Libération. « Pour Obama, accusé de ne plus faire grand-chose de sa présidence, cet échange a d’abord le mérite de montrer qu’il fait encore bouger les lignes et obtient des résultats, relève le journal. La libération de ce dernier prisonnier de guerre américain vient étayer sa réputation de 'président-qui-met-fin-aux-guerres'. (…) Mais cet échange est lourd de risques futurs, s’indignent autant les républicains que de nombreux militaires », constate encore Libération qui cite les propos du républicain Mike Rogers, président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants : « c’est une rupture du principe américain disant qu’on ne négocie pas avec les terroristes, fulmine-t-il. De par le monde entier, Al-Qaeda et ses affiliés se financent ainsi [par des prises d’otages], et nous avons maintenant fixé le prix d’un Américain : pour un Américain pris, on obtient cinq des siens ! »