La langue française sera-t-elle sauvée par l'Afrique ? Qui va succéder à Abdou Diouf à la tête de la Francophonie ? Hervé Bourges est un familier de l'Afrique, où il a fondé l'école de journalisme de Yaoundé, avant de revenir en France et de diriger successivement RFI, TF1 et France Télévisions. Aujourd'hui, à 81 ans, le vieux militant tiers-mondiste livre bataille pour la langue française. Chez Karthala, il publie «Pardon my french», et répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Hervé Bourges, à lire votre ouvrage, on voit que le déclin de la langue française dans le monde continue. Est-ce que le français est fichu partout, sauf en Afrique ?
Hervé Bourges : Non, pas du tout. Le français a un grand avenir. D’abord c’est une langue moderne, contrairement à ce que certains disent. Ce n’est pas une langue ringarde du tout. Le français se développe mais c’est en France qu’on se rend le moins compte et qu’on y porte le moins d’efforts, si vous voulez.
Alors justement, on connaît votre sens de la diplomatie, mais vous avez une tête de turc dans votre livre. C’est Françoise Le Bail la directrice générale de la Justice à la Commission européenne. Elle est française, mais vous dites qu’à Bruxelles elle s’exprime en anglais?
Oui, tout à fait. Elle s’est fait taper sur les doigts par celle qui traduisait, en disant : Madame je vous rappelle que le français est une des langues à Bruxelles. Mais c’est vrai avec d’autres. Vous savez que Chirac avait quitté la salle un jour où le baron Sellière qui dirigeait le Medef devant un public francophone avait prononcé son discours en anglais. Et je ne vous citerai pas Valérie Pécresse et bien d’autres, pour montrer qu’ils parlent bien l’anglais. Alors qu’ils montrent d’abord qu’ils connaissent bien la langue française.
Des gens un peu snobs ?
Oui, beaucoup, dans l’administration, dans les entreprises, et dans nos médias, où on massacre le français à tour de bras. Pas à RFI, bien évidemment !
Les Français ont tendance à croire que leur langue est définitivement adoptée en Afrique. Mais est-ce qu’ils ont raison ?
Non, ils n’ont pas raison, il faut se battre. Nous l’avons imposée cette langue ! C’est le fruit du colonialisme. Kateb Yacine, le grand écrivain algérien l’a bien dit : c’est un butin de guerre. C’est une langue magnifique, une langue de culture, une langue identitaire. Et puis, vous savez, le grand poète roumain qui disait : ma patrie c’est la langue française. Je n’en connais pas d’autres. Il n’y a qu’en France qu’on ne s’en aperçoit pas. Et aujourd’hui l’Organisation internationale de la Francophonie qui regroupe 77 pays et qui compte près de 300 millions de locuteurs, on comptera sans doute en 2050 un milliard, mais qui seront neuf sur dix Africains. Alors ces Africains, il ne faudrait quand même pas les décevoir. On leur a imposé une langue qu’ils ont gardée, il ne faudrait pas que demain certains se disent : puisque la France ne tient pas tellement à sa langue, eh bien nous allons aller ailleurs.
Il y a deux mois vous avez été invité par François Hollande à un déjeuner privé avec d’autres personnalités francophones. Est-ce le signe que le président français s’intéresse à sa propre langue ou est-ce un coup d’épée dans l’eau ?
Moi, je pense qu’il est très sincère dans ce domaine. Parce qu’à ce déjeuner il y avait Abdou Diouf et puis un certain nombre d’écrivains français ; Orsenna, Mavoungou. Et le président a dit : c’est un déjeuner de travail, je veux m’informer. Et j’ai dit au président : il faut marquer par un acte politique que la France attache de l’importance à une langue qui est maintenant sur tous les continents. Et pour ce faire, il faut se battre pour empêcher les anglicismes, pour que certains ne se piquent pas par snobisme, de vouloir parler anglais pour rester entre soi, sans s’ouvrir sur le monde.
Et lors de ce déjeuner Abdou Diouf s’est désolé du manque d’ardeur des Français pour défendre leur propre langue. Mais n’est-ce pas le cas de François Hollande lui-même et de son prédécesseur Nicolas Sarkozy ?
Oui, je ne dirais rien de Monsieur Nicolas Sarkozy pour qui il n’y avait qu’un pays qui comptait, c’était les Etats-Unis et une langue qu’il parlait fort mal d’ailleurs qui était l’anglais. Mais les autres ont fait attention à la défense du français dans le monde ; Jacques Chirac, et je crois que François Hollande qui est un pragmatique comme vous le savez, s’est rendu compte de son importance.
Pour rendre la francophonie populaire, vous proposez un visa francophone. Mais en cette période de montée du Front national, est-ce que votre proposition ne risque pas de faire un flop ?
Je ne suis pas persuadé qu’elle soit reprise. Mais il y a un visa du Commonwealth pour tous les Etats du Commonwealth. Ça va de l’Australie au Nigeria... Je pense qu’il pourrait y avoir un visa francophone, en s’entourant de toutes les garanties, pour que ce soit vraiment donné à des gens qui viennent apprendre la langue française, parce qu’ils veulent devenir professeur, ils ont été étudiants, parce qu’ils sont des artistes. Et je crois qu’on ne peut pas se battre pour les professeurs de français en Afrique et ne pas leur permettre de venir en France.
Pour la succession d’Abdou Diouf, deux candidats sont déjà officiellement en lice ; le Congolais Henri Lopes et le Mauricien Jean-Claude de l'Estrac. Est-ce que vous avez un favori parmi ces deux là ou parmi d’autres ?
Moi je n’ai pas de favori et je n’ai pas à donner mon avis, parce que mon avis ne compte pas. Ce qui est sûr c’est que quand on a eu un ancien secrétaire général des Nations unies comme Boutros Boutros-Ghali, un ancien chef d’Etat élu démocratiquement à trois reprises, battu la quatrième fois, on ne peut que trouver des personnalités de premier plan. Il n’est pas dit que ce doit être un ancien chef d’Etat, bien évidemment. Mais il faut que quelqu’un puisse discuter d’égal à égal avec les chefs d’Etat, pour qu’il impose son autorité. Et ma foi, il n’y en a pas beaucoup.
Il serait bien que ce soit une femme, ancien chef d’Etat. Il y en a une dont on parle qui est Michaëlle Jean qui est une femme de grande qualité, qui était ce qu’on peut appeler un gouverneur du Canada et qui a la double nationalité ; haïtienne et canadienne. Et si le Canada voulait proposer sa candidature, le Canada, le Québec, ça se ferait. Pour le moment ce n’est pas le cas. Il y a des tas d’autres noms aussi.
Il y en a un qui aurait été très content, qui s’appelle Jean Ping qui a été quand même au sein de l’Union africaine. Mais, il est dans l’opposition maintenant et ça m’étonnerait fort que le Gabon propose sa candidature.
Vous dites que le successeur d’Abdou Diouf devra parler d’égal à égal avec les grands de ce monde. Est-ce que ça veut dire que le Burundais Pierre Boyaya, le Libanais Michel Sleiman…
Oui, on en parle aussi, mais sa candidature n’a pas été déposée.
Ou le Malien Dionkounda Traoré, il pourrait avoir un avantage sur d’autres candidats s’il l’était ?
Pas nécessairement. Parce que le tout est de savoir ce qu’ils ont fait dans le passé, s’ils sont blancs comme neige et si leur pays est très représentatif. Alors tout ça on le saura au sommet de la Francophonie à Dakar à la fin de novembre. Mais il faut une grosse pointure. Il faut quelqu’un, qui en plus dans ce monde multipolaire, puisse parler haut et fort.
Le président Abdou Diouf a été un secrétaire général remarquable, c’est un homme réservé. Et là, il faudra montrer ce que fait réellement la Francophonie. Or, elle fait beaucoup plus de choses qu’on ne le sait.
Vous savez, il n’y aurait pas eu d’élections à Madagascar si la Francophonie n’y était pas intervenue directement. Et puis à l’Unesco, les 77 pays de la Francophonie ont signé une motion pour défendre la diversité culturelle. Il n’y aurait pas eu le groupe francophone, ça ne se serait pas passé.
Autre idée de Hervé Bourges : la création d'une Académie francophone. Il en parlera lundi prochain chez Ivan Amar, dans l'émission «La danse des mots». Pour les auditeurs africains, ce sera à 13H30 Temps universel.
► «Pardon my french», chez Karthala.