Aucun des 28 citoyens russes ou ukrainiens visés par Washington et Bruxelles n'appartient au monde des affaires. Ni banquier, ni patron de sociétés énergétiques n'ont été ciblés, contrairement à ce que supposait une partie de la presse allemande, et contrairement à ce que redoutaient les milieux d'affaires russes. D'où le soulagement général perceptible lundi sur les marchés. A Moscou, comme à New York et Londres, les bourses ont rebondi. La faiblesse de la riposte occidentale est interprétée comme une approbation muette de l'annexion de la Crimée, mais c'est aussi l'expression des réserves, notamment des Européens. Lundi, à Bruxelles, la Finlande et Chypre ont freiné des quatre fers. Le gel des avoirs bancaires russes à Chypre serait une double peine pour l'île déjà en cours de sauvetage. Quant à la Finlande, son redressement en cours est fortement corrélé à ses exportations vers la Russie.
Les Européens prennent leur temps pour entrer dans la guerre économique
Ils s'y préparent avec la plus grande circonspection. En privilégiant d'abord la guerre des mots. Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, menace par exemple les Russes de ne pas leur livrer les fameux Mistral construits à Saint-Nazaire. C'est un message adressé à Moscou, mais aussi à Berlin ou à Rome, car le chef de la diplomatie française précise bien que la France ne s'engagera sur cette voie seulement si ses alliés font un geste aussi fort. Car le contrat des Mistral, c'est un revenu d'exportation pour la France mais aussi la sauvegarde de l'emploi aux chantiers de Saint-Nazaire. Or comme le fait remarquer un Français basé à Moscou, en cas de guerre économique, en termes d'emploi, la France - où le chômage est au plus haut - a plus à perdre que la Russie - où il est au plus bas. Si des sanctions de cette nature étaient prises, les deux parties auraient beaucoup à perdre, sans même parler des livraisons de gaz indispensables à l'Allemagne ou à l'Italie. Sceptiques sur le risques d'une guerre économique, des entreprises présentes sur le marché russe jouent néanmoins la prudence, et gèlent les négociations en cours. C'est le cas de plusieurs entreprises allemandes de taille intermédiaire.
Comment les Russes se préparent-ils à des sanctions économiques occidentales ?
D'un point de vue macro économique ce bras de fer contraint déjà les analystes à revoir leur prévision de croissance à la baisse. Certains pronostiquent déjà la stagnation de l’activité pour 2014. L'Etat russe s'attend à des rentrées fiscales moindres, mais ce n'est pas un effondrement de l'économie qu'on redoute, plutôt une correction.
Concrètement, les banques russes comme le gouvernement ont pris les devants en vendant de la dette américaine pour éviter de voir leurs avoirs en dollars gelés. Par ailleurs, des contrats en cours de négociations ont été prestement bouclés entre dimanche et lundi. Rosneft, la société nationale pétrolière russe devient un puissant actionnaire du champion italien du pneumatique, Pirelli. Une décision qui soulage la société italienne. Une société privée russe a par ailleurs racheté une filiale de l'énergéticien allemand RWE. Sinon, les affaires continuent. Le patronat russe organise demain à Moscou le B8, le rendez vous des milieux d'affaires des pays membres du G8, comme si de rien n'était, alors que les Etats-Unis menace la Russie de l'exclure du club des grandes puissances.