Pour le moment, le Chili fait plutôt envie que pitié. La croissance y est encore vigoureuse, le chômage inférieur à 6% en 2013, et la pauvreté parmi les plus basses d'Amérique latine. Et pourtant, les électeurs réclament plus de progrès social. Les plus virulents sont les étudiants ; ils ont fait une longue grève en 2013 pour obtenir la gratuité de l'enseignement. Car ce Chili qui a si bien réussi en exportant son cuivre, dont il est de loin le premier producteur mondial, est aussi un champion du libéralisme à tout crin. Pour alléger la facture des importations, le Chili a multiplié les accords de libre échange faisant baisser les droits de douane.
Ce libéralisme assumé a été aussi un moteur pour développer les autres secteurs clé des exportations comme l'élevage de saumon. C'est donc cette économie très ouverte que Michelle Bachelet entend aujourd'hui mettre à contribution pour une plus grande justice sociale. Et quel meilleur outil que l'impôt pour redistribuer les revenus. La nouvelle présidente prévoit d'augmenter fortement l'impôt sur les sociétés pour financer de nouvelles dépenses dans l'éducation et la santé.
Ce virage intervient au moment où l'économie ralentit
Le chiffre de la croissance pour janvier est mauvais : 1,4% de hausse du PIB selon la Banque centrale chilienne, c'est l'un des niveaux les plus faibles de ces dernières années, comparé au 4% de 2013 et 5 et demi de 2012. Le coup de frein de la Chine sur les importations de matières premières est la principale cause de cet atterrissage forcé. Car depuis dix ans, c'est l'appétit chinois pour le cuivre qui dope sa balance commerciale. Le tiers du minerai de cuivre chilien qui fournit au pays l'essentiel de ses revenus d'exportation est destiné au marché chinois.
Le Chili est le pays d'Amérique latine le plus dépendant des achats chinois. Il va donc souffrir dans les prochains mois car en consommant moins de cuivre, la Chine provoque aussi la baisse des cours. La Codelco, l'entreprise nationale qui exploite le filon rouge, devra donc trouver de nouveaux débouchés et vendre plus pour compenser l'essoufflement de la demande chinoise.
Dans ce contexte, imposer une augmentation des impôts sur les sociétés pourrait pénaliser l'activité
Le nouveau ministre des Finances Alberto Arenas, chargé du budget dans le précédent gouvernement de Michelle Bachelet, devra donc manœuvrer avec beaucoup de doigté. Dès sa nomination, il a annoncé la couleur : hausse des impôts, mais aussi hausse des investissements pour soutenir la croissance.
Et puis, l'équipe qui revient aux affaires sait aussi qu'elle peut compter sur les noisettes mises de côté pendant le « boom » des matières premières. Le fonds souverain chilien dédié aux générations futures a 28 milliards de dollars à sa disposition. Un matelas confortable pour amortir les chocs.