Le musicien congolais Ray Lema

« Doit-on chaque fois attendre que les étrangers nous aident ? Non, on va essayer de faire le peu que nous pouvons. Donc ce concert c'est le peu que nous pouvons, sans attendre personne. »

La réponse des artistes africains au conflit en Centrafrique : Youssou N'Dour, Ray Lema, Lokua Kanza, Bonga, Idylle Mamba ou encore So Kalmery se retrouvent sur scène lundi 10 mars 2014 au Théâtre de la Ville de Paris pour soutenir le peuple centrafricain. Né en République démocratique du Congo, le chanteur et pianiste Ray Lema, âgé de 66 ans, est notre invité.

RFI : Comment s’est organisé ce concert pour la Centrafrique ?

Ray Lema : Nous avons un petit groupe de réflexion avec quelques amis dont Vincent Mambachaka, qui est de Centrafrique. Il avait un centre culturel là-bas qui s’appelait Linga Teré. Et quand il est venu ici, fuyant les événements (dans son pays), on lui a cassé son centre parce qu’il avait hébergé beaucoup de réfugiés. On s’est assis et on s’est dit : comment peut-on faire ? Doit-on chaque fois attendre que les étrangers nous aident ? Non. On va essayer de faire le peu que nous pouvons. Et ce concert, c’est le peu que nous pouvons, sans attendre personne.

C’est un concert porteur d’espoir ou bien êtes-vous plutôt pessimiste sur la situation en RCA ?

Je ne suis pas pessimiste de nature parce que l’humain oublie souvent que la nature est un système binaire. Le pendule bat toujours de gauche à droite et de droite à gauche. Donc tout (se) passe : le soleil-la journée prépare la nuit et la nuit prépare la journée. Voilà ce que nous, nous croyons dans notre philosophie ancestrale en Afrique.

Il n’y a jamais de journée qui puisse établir une dictature sur la nuit. Non, non… Et la nuit non plus, ne pourra jamais établir une dictature. Donc, quand il y a ce genre de problématique, il faut que ce soit pour préparer un jour meilleur. Forcément, parce que nous allons apprendre de ce qui se passe. Et nous allons corriger le tir, nous allons prendre des décisions. Moi, je suis plutôt un optimiste de nature.

La mobilisation internationale vous paraît-elle suffisante ?

En même temps il ne faut pas croire que je ne suis pas reconnaissant envers les gens qui pensent à l’Afrique. Mais je pense que c’est vraiment important, pour nous Africains, de nous asseoir et de mettre le doigt sur la plaie. Parce qu’il y a une plaie quelque part.

Je suis de la République démocratique du Congo, et nous par exemple au Congo, nous avons une situation qui dure depuis des années ! Aujourd’hui nous en sommes à plus de 5 millions de morts ! Quand je vois l’émotion qui gagne un pays comme la France quand il y a un mort ! Je ne comprends pas qu’avec 5 millions de morts... chacun continue à vaquer à ses occupations… Nous regardons nos concours de beauté… Personne pour dire qu’il y a un holocauste. Sous d’autres cieux on crierait déjà à l’holocauste ! Mais là-bas on ne crie pas à l’holocauste !

Vous évoquiez le Congo. Quand vous étiez enfant là-bas, je crois que vous vouliez devenir prêtre. Quel regard portez-vous actuellement sur l’aggravation des tensions confessionnelles en République centrafricaine ? Pourquoi un tel fossé s’est créé ?

J’ai voulu devenir prêtre, comme vous l'avez souligné. Je ne suis pas devenu prêtre ! Mais je suis encore plus croyant que quand j’étais jeune ! Mais aujourd’hui je suis sans religion. Parce que j’ai un malaise avec les religions. Les religions ont beau avoir les textes qui parlent de paix, de compassion, etc, quand on regarde dans les faits, toutes les religions ont commis des choses qui sont parfois vraiment à la limite de l’humanité ! J’ai donc un malaise. Je ne veux pas rentrer maintenant en guerre ou bien juger les religions, mais il faut que nous remettions l’humain au centre de nos soucis.

Pour vous, la solution en Centrafrique passe par quoi ? Plus de militaires, plus de concertation, un poids plus important pour les autorités religieuses ?

Je pense que nous en Afrique, nous (devons) investir sur l’éducation de masse. Si le musulman, le chrétien savent d’où vient leur religion, et qui ils sont eux-mêmes, et quels sont les enjeux qui les entourent, ils ne vont pas se bagarrer de cette manière-là ! C’est impossible ! Il faut avoir la capacité d’analyser ! La capacité de s’informer. Et c’est là que nos dirigeants ne se rendent pas compte que l’éducation aujourd’hui est un enjeu pour l’Afrique. Il faut absolument qu’on apprenne à investir dans l'éducation.

Aujourd’hui on leur dit que leur problème est économique. Donc ils investissent dans la construction de meubles, de voitures, de je ne sais quoi… Et ils ne se rendent pas compte que non ! Cela doit venir après l’éducation pour qu’on ne soit pas des consommateurs bêtes et méchants !

Aimeriez-vous aller chanter à Bangui un jour ?

Mon problème à moi c’est que je suis pianiste. Et le piano c’est un instrument tellement, tellement pénalisant ! Parce qu’il est énorme. Rien qu’accorder le piano c’est un métier à part entière. Donc si on me trouve des pianos, j’irai demain !

S’il y a un accordeur aussi ?

S’il y a un accordeur aussi !

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