Abdelaziz Bouteflika sera-t-il candidat à un quatrième mandat, le 17 avril 2014 ? Et aura-t-il le soutien du très puissant général Mediène, alias Toufik, le chef des services secrets ? En Algérie, à deux mois de la présidentielle, la parole se libère et la polémique bat son plein. L'officier supérieur algérien Mohamed Chafik Mesbah a travaillé avec le général Mediène. Aujourd'hui, il est à la retraite et se consacre aux sciences politiques. En ligne d'Alger, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
***En 2009, Mohamed Chafik Mesbah a publié Problématique Algérie, aux éditions le soir d'Algérie.
RFI : Pensez-vous comme le secrétaire général du FLN, Amar Saïdani, que le général Mohamed Mediène, dit le général Toufik, s’oppose à un quatrième mandat du président Bouteflika ?
Chafik Mesbah : Non, absolument pas. A propos du secrétaire général du FLN la cause est entendue. Depuis longtemps, il ne cesse de battre campagne pour le quatrième mandat. Je ne crois pas qu’il ait des convictions. Il est instrumentalisé.
Par contre dans le cas du général Mediène, j’ai eu à le connaître, c’est un officier général discipliné. Je ne le vois vraiment pas porter la contradiction au chef de l’Etat. Depuis d’ailleurs qu’il exerce [cette fonction], je ne l’ai jamais vu porter la contradiction au chef de l’Etat de l’heure, et à plus forte raison au président Bouteflika. Tout au plus à la suite des enquêtes sur la grande corruption a-t-il pu déterminer qu’il y avait de graves problèmes de dysfonctionnement dans le système et dans la cour qui entoure monsieur Bouteflika. Et je suis persuadé qu’il a dû en informer le président. Malheureusement, le groupe mis en cause a réagi violemment en demandant à Amar Saïdani de monter au créneau.
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Vous pensez que dans son combat contre la corruption le général Mediène s’est fait beaucoup d’ennemis dans l’entourage du chef de l’Etat ?
Absolument ! Parce que, malheureusement, l’entourage est concerné que ce soit sur les enquêtes sur l’autoroute est-ouest, sur la Sonatrach ou sur les concessions agricoles.
Sur Sonatrach, la société pétrolière ?
Oui, sur Sonatrach, c’est clair, c’est monsieur Chakib Khelil, l’ancien ministre de l’Energie qui est en cause. Sonatrach c’est un peu la vache à traire de l’Algérie et le peuple algérien n’accepte pas qu’on puisse y toucher à des fins inavouables.
Vous avez travaillé avec le général Mediène, vous le connaissez très bien. Il est en poste depuis plus de vingt ans. Est-ce que de fait, il n’est pas devenu l’un des hommes les plus puissants du pays et donc un « faiseur de rois » ?
Si vous me parlez de société virtuelle, c'est-à-dire de la classe politique qui existe actuellement, des partis, des institutions, je vous dirais : oui, les services de renseignement disposent d’une influence certaine. Si vous me parlez de la société réelle, c’est-à-dire la population dans sa globalité, les laissés-pour-compte, je vous dirais : non. « Faiseur de rois », je crois que c’est un peu exagéré. Parce que jusqu’à présent, le système algérien a fonctionné sur la base du consensus. A partir de l’interruption du processus électoral en 1992, il y avait un conclave en bonne et due forme de la hiérarchie militaire qui décidait de la conduite à tenir. Il y avait l’état-major, les régions militaires, les grandes unités de feu, et de l’autre côté les services de renseignement qui jouaient le rôle d’interface avec l’entité politique. Mais les décisions se prenaient dans le cadre du consensus.
Dans la lutte contre le terrorisme, le général Mediène travaille beaucoup avec les services occidentaux. Jusqu’où accepte-t-il de collaborer avec les Français et les Américains ?
A ma connaissance, la préoccupation du général Mediène Mohamed a toujours consisté à ne pas laisser la coopération technique déboucher sur une soumission sur le plan stratégique où l’Algérie jouerait un rôle de simple auxiliaire. Alors que, par rapport à la politique sahélienne, il est clair que les Français ont voulu que l’Algérie joue un rôle d’auxiliaire.
Est-ce que certains décideurs français ou américains ont essayé de faire du général Mediène leur pion dans l’appareil algérien ?
Du côté français, je vais être un peu brutal. Je crois que les Français sont contents de la coopération sécuritaire qui existe avec les services de renseignement algériens. Mais ils considèrent que le général Mediène Mohamed est un peu le dernier rempart. Il représente un peu la ligne nationaliste dure. Et les Français se réfèrent au président Boumediène. Je crois que ça ne leur déplairait pas qu’il y ait un changement à la tête des services de renseignement algériens.
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C’est-à-dire que pour les Français le général Mediène est un peu le Houari Boumediène d’aujourd’hui ?
Je crois, oui. C’est ma conviction. Ils aimeraient bien qu’il y ait en face quelqu’un qui ne soit pas tributaire du dogme nationaliste.
A l’heure qu’il est on ne sait toujours pas si Abdelaziz Bouteflika sera candidat à la présidentielle du 17 avril pour un quatrième mandat. A votre avis, il va y aller ou pas ?
Jusqu’à preuve du contraire, oui. Monsieur Bouteflika se présentera parce qu’en plus de sa propre volonté, le cercle qui l’entoure veut imposer ce quatrième mandat pour des raisons liées à des intérêts personnels.
Et qui sont les hommes-clés dans ce clan présidentiel ?
Je me demande jusqu’à présent quelle est la part de monsieur Abdelaziz Bouteflika et de son frère monsieur Saïd Bouteflika, sur le processus de décision politique. Ce sont les deux seules personnes qui comptent. Je crois qu’il y a un « go between » entre les deux qui pourrait éventuellement être élargi au général Gaïd Salah, vice-ministre et chef d’état-major.
Voulez-vous dire que depuis qu’Abdelaziz Bouteflika est malade, son frère Saïd Bouteflika et le vice-ministre de la Défense, le général Ahmed Gaïd Salah ont pris un véritable ascendant ?
Pas sur le président Bouteflika, mais sur le processus de décision, c’est certain. Vous savez, il n’y a pas de vie politique en Algérie, il n’y a pas de vie associative. C’est uniquement des appareils qui dirigent le pays. Je ne crois pas que monsieur Saïd Bouteflika soit porteur de stratégie, mais en tous les cas il est mû par un instinct de conservation du pouvoir.
Pour ce 17 avril, on annonce la candidature de plusieurs dizaines de personnes. Quelles figures voyez-vous pour assurer la relève ?
A mon avis, la seule personne qui actuellement pourrait recueillir l’adhésion populaire de manière massive, c’est le président Liamine Zéroual.
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L’ancien président Liamine Zéroual ?
Liamine Zéroual qui jouit d’une image positive dans l’opinion publique, en raison de son intégrité, de son patriotisme. Actuellement, il faut absolument que le candidat du consensus puisse imposer son autorité à l’armée et aux services de renseignement. En toute honnêteté, je ne vois pas d’autre personnalité capable d’avoir cette capacité à l’heure actuelle.
Et l’ancien Premier ministre, Ali Benflis ?
Ce que je sais c’est que l’entourage de monsieur Bouteflika mettra l’Algérie – je m’excuse du terme, même s’il est un peu excessif – à feu et à sang pour empêcher son élection.