Industrie militaire française, l’Etat doit mieux défendre ses intérêts

Un peu partout en Occident, les dépenses militaires se contractent sous l'effet des politiques d'austérité. Le budget français de la Défense n'échappe pas à cette cure. C'est dans ce contexte que la Cour des comptes a examiné de près les participations de l'État dans l'industrie militaire française. Verdict des Sages de la rue Cambon : c'est bien, mais peut mieux faire.

Le titre du rapport, « les faiblesses de l'État actionnaire d'entreprises industrielles de défense », résume bien la teneur des propos des juges de paix des dépenses publiques. Pour protéger ses intérêts stratégiques, mais aussi pour défendre des activités historiques de l'industrie française, l'État détient des participations dans 6 des 8 principaux groupes de défense. Des groupes par ailleurs plutôt bien placés dans la compétition mondiale.

Cette présence au capital se monte à 12 milliards d'euros alors que les commandes annuelles passées à l'industrie militaire sont environ de 13 milliards de dollars. Le principal enjeu n'est donc pas tant de réduire ces participations, dont le volume en valeur est modeste, que de garantir leur effet de levier. Car les juges estiment que le pouvoir de l'État n'est pas nécessairement proportionnel au poids dans le capital du groupe. C'est le principal reproche fait aux partenariats passés dans le cadre d'EADS et de Dassault Industries.

Le groupe EADS qui mêle aéronautique et activité de défense est pourtant une belle réussite industrielle

Grâce à la présence de trois États, l'Espagne, l'Allemagne et la France. Mais au fil du temps, l'industriel censé représenter les intérêts de l'État français, en l'occurrence le groupe Lagardère, s'est montré de moins en moins enclin à assurer cette mission. Il doit d'ailleurs prochainement se retirer d'EADS. Que signifie alors qu'Arnaud Lagardère assume la présidence du groupe dont il se désintéresse ? Heureusement, grâce au nouveau pacte d'actionnaires trouvé en décembre dernier, les intérêts de l'État dans EADS sont à l'avenir préservés soulignent les sages.

Ils font part aussi des divergences de vues entre l'industriel et les pouvoirs publics sur le rapprochement un moment envisagé entre EADS et le Britannique BAE Système, une situation pour le moins gênante. Autre inconvénient de ce partenariat européen : chacun défend d'abord les emplois sur son territoire, c'est pourquoi l'État allemand, sous la pression des länders, a d'ailleurs dénoncé ce projet de rapprochement. D'où la conclusion des Sages: il est urgent que l'État se dote d'une stratégie globale pour éviter de se trouver entravé dans des choix décisifs pour l'avenir de son industrie de défense et par extension de son armée.

En ce qui concerne Dassault, on reproche parfois à l'État d'avoir subventionné le Rafale qui n'est toujours pas un produit d'exportation

Là-dessus, les sages bottent en touche, ce n'était pas l'objet de leur rapport. Il est vrai, ont-ils rappelé, que l'État s'est engagé à acheter chaque année 11 Rafale tant que l'avion de combat ne trouverait pas de débouché à l'export. Cela illustre aussi le grand écart que doit faire l'État entre ses intérêts de client, et ceux de son rôle de garant d'une activité pourvoyeuse d'emplois. Mais en ce qui concerne Dassault la cour du compte a surtout pointé le faible poids décisionnaire de l'État au regard de sa participation.

Dans les années 80, il était majoritaire, mais depuis, cette participation s'est diluée à travers la participation de Dassault dans le groupe Thales. Du coup, ce n'est plus l'État, mais Dassault qui parvient à imposer ses choix pour le fabricant d'électronique de défense, un secteur hautement stratégique. Dans le cas de Dassault comme de Lagardère, les sages déplorent que l'État n'ait pas de vision à long terme alors que ces entreprises familiales peuvent voir leurs objectifs et leurs tailles sérieusement modifiées au moment des successions.

L'État n'est pas en mesure de mettre son veto aux décisions prises par ces acteurs privés ?

C'est pourquoi il doit absolument conserver ses participations et veiller à leur bon usage. Aux États-Unis l'amendement Exon-Florio donne à la Maison Blanche le droit de s'opposer à toute acquisition étrangère de sociétés américaines de défense. Une arme régalienne par excellence estime Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, qui regrette qu'un tel dispositif ne soit pas compatible avec le cadre européen.

Partager :