Il y a 50 millions, sinon plus encore de musulmans en Europe communautaire. Six millions, rien qu’en France. Et leur nombre ne fait que croître, rapidement. Parce qu’ils font plus d’enfants que n’importe qui d’autre ; parce qu’il en arrive chaque jour, mois, année, davantage. En d’autres termes, l’Europe sera bientôt submergée, par une « vague » islamique.
Tout est faux. Il y a tout au plus 16 millions de musulmans en Europe, guère plus de 2,1 en France. Dès lors que l’on cesse de confondre religion et origine ethnique, pratique cultuelle et culture ; dès lors que l’on se réfère aux (rares) enquêtes dignes de ce nom, dont celle menée conjointement par l’Ined et l’Insee (*). Mais les promoteurs des « chiffres de la terreur », comme les surnomme Raphaël Liogier, n’en ont cure.
De même qu’ils ignorent superbement la réalité des pays de culture islamique. Tous ou presque sont en effet aujourd’hui en transition, voire en déclin démographique. Ainsi de l’Iran, qui fait si peur depuis la révolution de 1979 (1,7 enfant par femme, en 2009) ; ou encore de l’Algérie (1,75, en 2011). En clair, le « débordement de population » relève du pur fantasme.
Paranoïa
Représentant à peine 4% de la population européenne et sans doute moins de 5% de la population hexagonale (dont la moitié de nationalité française), les musulmans sont également très loin de constituer l’armée de prosélytes que les tenants de « l’islamisation » dénoncent à longueur de discours pseudo-savant ou d’invectives.
Comme le relève encore Raphaël Liogier, ce sont bien plutôt les églises évangéliques qui « recrutent » des fidèles en France, y compris dans les banlieues dites sensibles, comme la Seine-Saint-Denis, au nord-est de Paris. Mais, là encore, rien n’y fait. Le mythe défait la réalité et impose de plus en plus largement en France et en Europe la fable d’un ilam conquérant.
Car, et c’est le plus inquiétant pour l’auteur, à l’héritage de condescendance coloniale et d’amalgames divers se mêle aujourd’hui une défiance extrême. Pire : une paranoïa qui prête aux musulmans et musulmanes (confère le voile, intégral ou non) un projet d’islamisation de l’Europe. D’où le sentiment de plus en plus répandu que c’est par volonté et projet que l’Islam se rendrait inassimilable sinon incompatible avec la république laïque à la française.
Là encore, foyers réellement radicaux inclus, le propos s’avère quasi-délirant. Mais capable, désormais, de fédérer à gauche comme à droite, au nom d’un nouveau populisme d’autant plus dangereux qu’il se nourrit d’une crise plus déstabilisatrice et anxiogène que les déboires économiques de la France et de ses partenaires européens. Ce n’est en effet rien moins qu’une crise d’identité que révèle et masque Le mythe de l’islamisation ».
(*) Trajectoires et origines. Enquête sur la diversité des populations en France. Institut national d’études démographiques / Institut national de la statistique et des études économiques, octobre 2010.