Ce sont moins des « secrets » que des informations accumulées, remisées et, le temps aidant, un peu oubliées, que Jacques Duquesne, 82 ans, a finalement revisitées. Sept cartons, remplis de documents datant de 1956 à 1962, empilés dans le grenier d’une maison, dans un petit village de Corrèze, dans le centre-ouest de la France.
Ces archives personnelles sont pour la plupart inédites. Le journaliste les a lues, à l’époque, pour quelques unes publiées mais le plus souvent simplement utilisées pour écrire les articles qu’il a consacrés à la guerre d’Algérie, à partir de janvier 1958.
Parfois pour en protéger les auteurs, soldats officiers, civils, qui prennent le risque de dénoncer les tortures, exécutions sommaires, viols, destructions… dont ils sont témoins ou victimes. Souvent aussi, parce que ces témoignages parviennent dès le début de la guerre, aux journaux et journalistes qui parlent de ces violences. Ils leur sont adressés en d’autant plus grand nombre que les medias osant braver la parole officielle et la propagande militaire sont rares.
La Croix et son jeune journaliste - il a 27 ans quand il effectue son premier reportage en Algérie, en novembre-décembre 1957- en font partie. Le journal l’envoie en reportage alors que prend fin la « bataille d’Alger » pour mesurer là-bas, l’impact d’un combat militaire remporté par l’armée française, mais un bilan politique et humain désastreux.
C’est cette erreur et cet échec, déjà sensibles, que racontent les « carnets secrets ». Echec d’une colonisation discriminant systématiquement la population musulmane algérienne ; erreur d’une radicalisation militaire, d’une « folie » de violence avec son déchainement de tortures et d’exactions, qui poussent les familles, meurtries, endeuillées, à rejoindre les indépendantistes du FLN.
Les lettres de soldats écoeurés, déboussolés, révoltés, de même que les témoignages de victimes sont courageux, souvent éprouvants, toujours informatifs. Comme le sont, a contrario, les lettres d’insultes reçus par le journaliste et la direction du journal La Croix ou les tracts des ultras de l’Algérie française et de son bras armé, l’OAS. Les photos d’opérations, de cadavres de fusillés ou torturés, de prisonnières humiliées… attestent également d’une brutalité et d’une violence banalisées.
La boucherie que fut la guerre d’Algérie, horreurs du FLN comprises, s’impose au lecteur. En en prenant la dimension, on ne comprend que mieux à quel point aujourd’hui encore, Français et Algériens, séparément et dans leurs relations en éprouvent les « incalculables conséquences », comme l’écrit Jacques Duquesne.