C'est tout de même un paradoxe. L'Europe qui s'est donnée l'objectif de porter à 10% la part des biocarburants dans les réservoirs des véhicules en 2020 voit ses usines de biodiesel et de bioéthanol tourner au ralenti ! C'est que la concurrence étrangère est implacable. L'éthanol produit à base de betterave et de blé en Europe est plus cher que l'éthanol de maïs importé des Etats-Unis, où il est encore très subventionné. Ainsi, les importations européennes de bioéthanol américain ont été multipliées par cinq de 2008 à 2010. Elles devraient encore doubler cette année.
Quant au biodiesel, produit en Europe à base de colza principalement, il a souffert d'une moindre récolte, qui a fait grimper les prix de l'oléagineux. A près de 1 500 dollars la tonne, il ne parvient pas à rivaliser avec le biodiesel argentin, fabriqué à base d'huile de soja, mais surtout avec le biodiesel indonésien, à base d'huile de palme, qui vaut 25% moins cher. Cette année, les importations du biocarburant asiatique ont grimpé de 75%. Du coup, la production européenne est découragée. L'Italie et l'Espagne ont pratiquement divisé par deux leur tonnage de biodiesel. Même les champions allemand et français des biocarburants ont dû réduire la voilure.
Or, ces usines ont demandé au total 2 milliards d'euros d'investissements au cours des cinq dernières années. Les producteurs européens de biocarburants viennent aussi de lancer de nouveaux projets pour transformer cette fois non plus des denrées alimentaires en carburants, mais des déchets végétaux, c'est la deuxième génération (*), ou pour transformer des micro-algues en carburant, c'est la troisième génération. Des expériences qui entreront dans la phase industrielle au mieux en 2020 et qui ne pourront pas se substituer totalement aux biocarburants de la première génération, si l'Europe maintient ses objectifs.
Les industriels, vantant le fait qu'ils contribuent grâce aux sous-produits des biocarburants, les tourteaux de colza ou les drêches de blé, à une plus grande indépendance en aliment du bétail en Europe, en appellent donc à l'Union européenne pour soutenir leur activité. La Commission de Bruxelles semble les avoir entendus. Elle vient de lancer deux enquêtes : l'une sur les subventions américaines à l'éthanol, l'autre sur les faibles taxes à l'exportation du biodiesel indonésien, dans le but de leur imposer des tarifs douaniers.
(*) En France, BioTfuel a été lancé le 23 novembre dernier. Mené par Sofiprotéol, spécialisé dans les oléagineux, le projet associe Total, l’IFP Energies nouvelles et le Commissariat à l’énergie atomique. Il s’agit de transformer les déchets végétaux et forestiers en biodiesel et en biokérosène, en plusieurs étapes : la torréfaction des déchets, la gazéification et la liquéfaction (en carburant). L’entrée en production industrielle est prévue pour 2020 à 2030 avec 200 000 tonnes de biodiesel par an.
En matière de bioéthanol ─ incorporable cette fois dans l’essence ─ Terreos mène l’autre grand projet de carburants de deuxième génération en France, le Futurol. Le procédé consiste en la fermentation de déchets végétaux pour en tirer de l’éthanol. Total et l’IFP Energie nouvelles sont aussi parties prenantes. L'entrée en production industrielle est prévue en 2020 avec 3,5 millions de litres par an.