Dans un hôtel parisien, une soixantaine de domaines bordelais présentent leurs vins en avant-première. Celui qui les a réunis s’appelle Stéphane Derenoncourt, un consultant en œnologie, l’un des plus réputés dans la profession. Il a réuni une équipe technique de consultants pour travailler avec lui dans plusieurs vignobles de France et au-delà de ses frontières. Des femmes et des hommes qui circulent entre les tables, donnent des explications sur les terroirs de vins présentés et prêtent main-forte en l’absence d’une partie des producteurs retenus quelque part entre Paris et Bordeaux en raison d’une panne de TGV. Ils nous rejoindront plus tard. Mais si dans la vie de vigneron il n’y avait que cela !
2018, le millésime élégant et suave
Voyons d’abord ce millésime 2018 que l’on dit atypique. Le chamboulement de la météo a donné du fil à retordre aux vignerons dès le printemps. Mais à partir de juillet, les conditions climatiques se sont avérées exceptionnelles. Résultat : 5 millions d’hectolitres récoltés, soit une hausse de 67 % par rapport à 2017, année calamiteuse. Et pour la qualité ? Ce 2018 est « élégant et suave », affirme Stéphane Derenoncourt, quoique le vin soit hétéroclite selon les appellations. Pour le consultant, ce nouveau millésime ne ressemble à aucun autre dans le passé. Les prix seront fixés plus tard, au mois de mai et de juin, par les courtiers et les négociants en vins lors des ventes en primeur. Et tout le monde se pose la même question : quel impact aura le Brexit sur les exportations de vins de bordeaux vers le Royaume-Uni ?
Jean-Luc Zell, directeur du Château d'Agassac, a des clients outre-Manche. Le Brexit va lui poser de sérieux problèmes : « Ce qui m’inquiète le plus c’est l’introduction des taxes douanières. Les nouveaux tarifs pourraient propulser nos vins à des prix qui ne seraient plus acceptables pour nos clients. Or, c’est bien connu : quand le prix change, le client change », soupire-t-il.
Une plaque tournante pour le monde entier
Son agacement est compréhensible. Car si les prix de bouteilles de vin montent rapidement, les producteurs bordelais risquent de perdre le marché britannique, leur quatrième partenaire à l'exportation après Hong-Kong, la Chine et les États-Unis. Un marché de 225 millions d’euros. Le Royaume-Uni n’est pas que cela, c’est aussi est une plaque tournante pour les vins et spiritueux du monde entier, rappelle Stéphane Derenoncourt : « certes, il y a là-bas un marché intérieur très fort, mais il y a aussi beaucoup de vin qui passe par la place de Londres pour ensuite être exporté vers l’Asie ou vers d’autres lieux où les Anglais ont eu des places fortes dans l’Histoire. Aussi, cette incertitude qui règne aujourd’hui est un vrai souci. La seule chose que je remarque à travers les acteurs que je rencontre, et notamment des Anglais, c’est qu’ils ont l’impression d’être dans une grande inconnue. On ne sait pas. Pour l’instant, c’est l’inconnue totale. »
Les commandes tardent à venir
Les courtiers de Londres, Jean-Christophe Coisy les connaît bien. Ce négociant et caviste basé à Issy-les-Moulineaux échange avec ses partenaires britanniques toutes les semaines. Et l’incertitude, c’est bien connu, n’est pas bonne pour les affaires. « Aujourd’hui, le Royaume-Uni reste encore le principal acteur du marché export. Mais le Brexit pose un risque systémique. On ne sait pas comment l’Angleterre pourra continuer d’être cette plate-forme d’échanges pour le reste du monde. C’était un marché très porteur pour les vins de Bordeaux. Or, depuis quelques mois ce marché est en train de se figer. Tout ce qui est de la transaction sur les vins livrables prochainement est peu porteur de plus-values. Pour nous, les négociants, cela représente un vrai risque sur nos marges. »
Certains distributeurs ont rempli leurs stocks à l’avance pour assurer plus tard la livraison. Mais les nouvelles commandes se font rares. En attendant le divorce...