En Irlande, le gouvernement a finalement tranché en faveur d'un appel de la décision de la Commission européenne. Avant-hier, les ministres n'étaient pas parvenus à un consensus. Le Parlement devrait valider la décision la semaine prochaine. Reste à convaincre l'opinion publique.
Car la somme de 13 milliards d'euros qu'Apple doit rembourser à l'Irlande au titre des avantages fiscaux représente plus que le budget de la santé du pays. Renoncer à une telle cagnotte risque d'être difficile à justifier auprès du contribuable.
Pays « ami des multinationales »
Pourtant, le Tigre celtique rugit à nouveau après des années d’austérité en partie grâce au faible taux d’impôt sur les sociétés, 12,5%, le plus bas d'Europe. Sa réputation de pays « ami des multinationales » est donc en jeu. En Irlande, Apple a même bénéficié d'un taux préférentiel de 0,005% en 2014, selon la Commission.
Tous les profits réalisés en Europe par la firme atterrissent en Irlande. En échange, la marque à la pomme crée des emplois par milliers : 6 000 à Cork, dans le sud du pays, où se trouve son siège européen.
Cet appel scandalise cependant Paul Murphy, chef de file et député de l’Alliance anti-austérité (AAA), un mouvement d’extrême gauche lancé en mai 2015. « Je pense que c'est une décision absolument scandaleuse. Le gouvernement a choisi de défendre les droits d'une des plus riches multinationales du monde, pour qu'elle paye zéro taxe. Et il le fait au détriment de l'énorme crise du logement que nous traversons actuellement en Irlande. Il y a deux mille enfants sans abris, les services publics, comme la santé ou l'éducation, sont à la peine. Et le gouvernement, lui, préfère se battre pour qu'Apple puisse garder 13 milliards d'euros de liquidités en plus des 200 milliards qu'elle a déjà accumulés, au lieu de prendre cet argent et d'aider ceux qui en ont vraiment besoin. C'est un scandale et je pense que les gens s'en souviendront. Ils sont furieux. Et la prochaine fois que l'exécutif demandera des coupes budgétaires ou de nouvelles taxes, les gens n'accepteront pas. Cela montre la vraie nature de ce gouvernement qui défend avant tout les intérêts des riches et des multinationales. »
Offensive fiscale européenne
« Il s'agit d'une aide déguisée », selon Bruxelles qui reste ferme. Le commissaire européen aux affaires économiques, le Français Pierre Moscovici, l'a répété ce 2 septembre : « Nous sommes tout à fait certains que notre décision est juridiquement fondée ». « Je sais qu'il y a des réticences, des résistances de la part de certains Etats-membres, a-t-il expliqué. Autant nous devons prendre en compte l'exigence de compétitivité, autant nous devons mettre en avant l'exigence de transparence, ce qui n'est nullement contradictoire. A ceux qui s'interrogent parfois sur la nécessité de l'Europe, ce combat pour la transparence fiscale illustre précisément ce besoin d'Europe. Toutes les avancées sont des avancées européennes qu'aucun Etat n'aurait été en mesure de réaliser ».
Les Irlandais voient les choses autrement. Mais l'ancien ministre de l'Economie française a aussi annoncé son intention d'« aller plus loin » et de relancer le projet ACCIS (Assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés) d'harmonisation fiscale européenne, proposée par la Commission dès 2011. Ce qui permettra « d'éliminer les différences de législation en matière d'impôt des sociétés que les multinationales exploitent pour éviter de payer l'impôt », explique Pierre Moscovici.