Forum social mondial : l’Afrique francophone reprend le flambeau

Le Forum social mondial s’ouvrira ce dimanche 6 février 2011 à Dakar par une grande marche dans la capitale sénégalaise. Plusieurs centaines de tables rondes et de débats sont prévus toute la semaine afin de discuter de la mondialisation libérale, avec un mot d’ordre : « un autre monde est possible »… En 2006, Bamako n’était que l’un des trois sites à avoir accueilli le forum. En 2007, Nairobi avait cette fois-ci été chargée de la totalité du rendez-vous. Avec Dakar 2011, l’Afrique francophone reprend le flambeau. De quoi sera-t-il question pendant toute cette semaine ? En voici un aperçu avec l’un des organisateurs, Taoufik Ben Abdallah, le coordonnateur du Forum social africain au micro de Laurent Correau.

RFI : Taoufik Ben Abdallah bonjour… Le Forum social mondial démarre dimanche, ici, à Dakar. Est-ce que vous pouvez d’abord nous rappeler ce que c’est qu’un Forum social mondial ?

Taoufik Ben Abdallah : Ecoutez… Un forum social mondial, c’est avant tout un espace de débat démocratique, critique, d’analyse et d’élaboration d’alternatives. Les gens vont venir de près de cent trente pays, ils vont travailler pendant six jours. 1200 à 1300 activités globalement. C’est vous dire l’importance de l’événement.
 
Le forum de Dakar se déroule juste après le forum de Davos. Les premières éditions du Forum mondial étaient placées, précisément, pour contrer les idéologies exprimées par Davos.
 
Et cette fois-ci on a déplacé un tout petit peu le forum, pour signifier que le Forum mondial, en dehors de Davos, est devenu un acteur du jeu politique mondial. Un contre-pouvoir aussi.

RFI : L’un des très nombreux thèmes sur lesquels vont travailler les participants au forum, c’est ce que les documents préparatoires décrivent comme une crise du système néolibéral. Comment est-ce que vous définiriez cette crise, Taoufik Ben Abdallah ?

TBA : Cette crise, nous l’appréhendons, nous la définissons, non pas comme une crise conjoncturelle du capitalisme mondial…  mais nous la lisons comme une crise véritablement de civilisation.
 
Nous avons connu, depuis un certain nombre d’années, une multitude de crises. Environnementales, énergétiques, alimentaires, financières, économiques…
 
Nous voyons bien que c’est un ordre qui a été établi depuis le XVème siècle et fondé sur une certaine injustice, un déséquilibre fondamental entre l’homme et la nature, qui est en cause.

RFI : Les documents préparatoires du forum parlent également d’un nouvel ordre géopolitique mondial. De quoi s’agit-il ?
 
TBA : Les équilibres économique et politique mondiaux sont en train de changer. Parce que le pouvoir relatif des anciennes puissances dominantes, qui sont les Etats-Unis et l’Europe, est en train – et ça tout le monde est d’accord – de baisser, et parce que, aussi, de nouvelles puissances qu’on appelle « émergentes », ou « nouvellement visibles », sont là. Elles revendiquent une participation à un nouvel équilibre politique mondial, une plus grande participation à la production de richesse, et une plus grande part de cette richesse au niveau mondial.
 
RFI : Quelle est la place de l’Afrique dans cette nouvelle géopolitique mondiale ?
 
TBA : Pour le moment, l’Afrique est, pour l’essentiel, un fournisseur de matières premières et un espace où des jeux d’influence s’exercent, pour l’essentiel à son détriment.
 
Or, cette nouvelle configuration géopolitique nous donne l’opportunité importante – peut-être qui ne reviendra pas – de rebâtir nos relations avec le reste du monde et de retrouver un rôle plus positif.
 
L’Afrique doit jouer ces nouvelles situations – c’est véritablement un jeu – pour, d’une part diversifier ses relations dans le monde, d’autre part acquérir un point dans la décision politique mondiale, de manière à ce que les grandes décisions tiennent compte des intérêts de ces peuples.
 
RFI : Ce Forum social mondial intervient au moment où la Tunisie vient de connaître la «révolution du jasmin», où l’Egypte connaît elle aussi un mouvement social important. Comment est-ce que vous intégrez ces nouvelles dimensions dans le forum social mondial ?
 
TBA : On les intègre d’une part physiquement, si je peux dire, puisqu’un grand nombre de Tunisiens et d’Egyptiens sont conviés pour partager avec nous ce qu’ils vivent, ce qu’ils ont vécu ces derniers temps. Et on intègre cela aussi dans nos analyses des rapports mondiaux, dans nos analyses de nos propres sociétés aussi.
 
Le peuple tunisien a montré que rien n’est figé et que les dictatures les plus extrêmes pouvaient être balayées par une grande mobilisation populaire et décidée.
 
La deuxième leçon c’est qu’un petit peuple est parvenu à imposer ses propres choix à des puissances étrangères, qui ont joué jusque là un double jeu. Il faut le dire. D’un côté on appuie des dictatures et on assume cet appui aux dictatures, et de l’autre on développe des discours sur les droits de l’Homme extrêmement paternalistes, interventionnistes, etc.
 
Ce dont il s’agit aujourd’hui par rapport à hier, c’est d’avoir des rapports d’égal à égal. Or hier, des rapports étaient fondamentalement faussés. On négociait avec des régimes qu’on contribuait à mettre en place.
 
RFI : C’est la deuxième fois que l’Afrique accueille les altermondialistes sur son sol [compte-tenu du fait que Bamako était seulement l’un des trois sites du forum de 2006, NdlR], c’est la première fois que l’Afrique francophone accueille un forum social mondial. Est-ce qu’il y a un symbole derrière cela ?
 
TBA : Le symbole c’est que l’Afrique prétend à une place plus grande dans la démocratie mondiale et dans les espaces alternatifs qui construisent cette démocratie.
 
RFI : Taoufik Ben Abdallah merci.

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